En sa qualité de modérateur et de représentant du CNC, Baptiste Heynemann a tout d’abord présenté l’état actuel du marché dans le domaine. En 2009, la question de la télévision en relief était purement prospective. Il conviendra de parler d’un avant et d’un après Avatar. Rien que pour la France, le long métrage de James Cameron est sorti dans 700 salles de cinéma, dont 500 étaient équipées pour une diffusion en relief. Du côté des fabricants de téléviseurs, peu ou prou, tous ont profité du NAB Show à Las Vegas pour dévoiler leurs nouveaux modèles : Samsung, Panasonic, LG, Sony. Même Philips, pourtant frileux au départ, a cédé aux sirènes de la tendance pour évoquer la commercialisation prochaine d’un écran dédié. Enfin, côté diffuseurs, Orange, Eurosport et Canal+ ont déjà réalisé quelques annonces relatives à la mise en route de programmes 3D relief. Le secteur de l’animation est particulièrement concerné par cette évolution et doit s’y préparer.
Consultant en 3D stéréoscopique, producteur d’animation
3D Revolution Productions
Royaume-Uni
La parole a d’abord été donnée aux diffuseurs présents. Pour Eleanor Coleman, "c’est un élément de narration exceptionnel qu’il ne faut absolument pas négliger. Se pose cependant la question du surcoût de telles productions."
Julien Borde, de France Télévisions, préfère ne pas avancer de dates précises quant à l’intégration du relief dans les programmes jeunesse. "Ce sera pour demain ou après-demain", avance-t-il sans plus de précision. Et de pointer la notion de groupe, qui oblige à certains ajustements : "La réalité est que chaque chaîne a un système de diffusion différent dans le groupe. Il faut donc avant tout que l’on puisse l’homogénéiser avant de penser relief." Rappelant que ce fut France 3 qui, la première, en 1982, diffusa un film en relief en prime time, Julien Borde précise aussi que Noël 2010 sera l’occasion d’émettre deux programmes en relief. Le premier est un spécial TV de 52 mn inspiré de la série Grabouillon et le second se présentera sous la forme de deux épisodes inédits de la série Le Petit Prince, diffusés sur le site Internet www.monludo.fr, et visibles avec des lunettes adaptées.
Le directeur de l’unité jeunesse de France Télévisions choisit de pointer "les cycles extrêmement longs de fabrication de séries d’animation. Celles sur lesquelles nous prenons actuellement des décisions et qui seront diffusées dans trois ans ne seront pas forcément à 100 % influencées par ce choix technologique mais, pour les suivantes, à un horizon de dix ans, ce sera naturellement le cas." Sur la question de l’inéluctabilité de la mise en relief des programmes et de l’éventuel retard que pourrait prendre un groupe comme France Télévisions dans la course à l’offre de programmes attractifs en 3D relief, Julien Borde répond avec prudence. "Oui, on y est poussé – par les fabricants principalement – mais nous voulons avancer prospectivement sur le sujet, sans contrainte." Et de conclure : "Tout ce qui peut permettre à la télévision d’innover est pertinent."
Ceri Barnes, en tant que productrice, est elle aussi parfaitement consciente de la pertinence de programmes relief pour les enfants, mais c’est du côté de la fatigue visuelle que la technique pourrait engendrer auprès des enfants qu’elle porte toute son attention. C’est dans cette optique que son studio, Classic Media, travaille actuellement sur le tournage de la série Postman Pat
Pour Paul Leluc, réalisateur pour Blue Spirit du spécial TV Grabouillon, évoqué plus tôt par Julien Borde, la 3D relief passe par une phase de questionnement : quelles sont les spécificités d’un film relief par rapport à un film dit droit ? "Nous sommes dans deux écritures très différentes", avance-t-il. "Le cinéma d’animation est un cinéma de codes qu’il convient de respecter. Le film en relief se rapproche plus d’une mise en scène théâtrale, voire de la prise de vues réelles. Le souci est donc d’essayer de ne pas être à la frontière de ces différentes approches, dans un entre-deux qui serait plus négatif qu’autre chose." Et de pointer une certaine "insatisfaction quant à l’hybridation de Grabouillon, qui est à la frontière de l’animation et du relief justement. Pourtant, sur ce type de production, le relief est quasi naturel, de par sa forme, mais même dans ce cas, il s’est plus agi de jongler que de véritablement créer pour le relief."
Lionel Fages, cofondateur de Cube Creative Computer Company, s’est fait une spécialité des films relief, notamment pour les parcs à thème friands de "rides" et de programmes immersifs. Fort de cette expérience, le studio a proposé à Nicolas Deveaux, réalisateur de l’un des courts métrages produits au sein du studio, 7 Tonnes 2, de passer en 3D relief. Pour rappel, ce film met en scène un éléphant réalisant des prouesses acrobatiques d’une incroyable légèreté sur un trampoline installé dans un gymnase désert. "Dès l’amont de la fabrication, nous avions évoqué l’idée de le produire directement en relief", précise Lionel Fages, "mais pour tout un faisceau de raisons, décision a été prise de le réaliser en 2D. Ce n’est que plus tard que nous avons envisagé sa mise en 3D." Ce sont des outils internes, basés sur 3ds Max, qui ont servi à refaire les set up nécessaires à la 3D relief.
Lionel Fages avance aussi la question de l’économie d’une telle production. En effet, à l’instar du court métrage "à plat", dont on connaît les difficultés intrinsèques de financement, le court métrage 3D relief ne dispose pas d’un modèle économique mature, pour ne pas dire seulement naissant. "Quand tu n’as pas d’argent, le passage en relief t’oblige à rivaliser d’ingéniosité", explique Lionel Fages : "impossibilité de retoucher la bande-son, passage du format 4/3 au 16/9, cadrages à refaire, etc." À ce titre, lighting, rendu et compositing ont été repris sur la base du court métrage à plat, toujours dans un souci d’économie.
Nicolas Devaux, présent dans la salle, pointe également les frustrations de cette mise en relief du court métrage : "L’espace de mise en scène s’y prêtait bien, mais la question du timing, forcément différent en 3D, a obligé à des concessions. Il a fallu retravailler l’animal, les cadrages." Si la question de la profondeur ne semble pas avoir posé de problème, les jaillissements se sont avérés plus problématiques : "Il fallait absolument ne pas couper le cadre lors des jaillissements, notamment avec la trompe, ce qui n’a pas été sans conséquence sur la narration." Lors du compositing, "nous avons retravaillé le décor – un fond blanc – et avons choisi de placer des lumières volumiques pour ajouter d’autres niveaux aux seuls premier et arrière-plan. Enfin, nous avons dû alléger les flous de focales qui ne cadraient pas bien avec cette optique 3D."
Alexander Lentjes, consultant en 3D stéréoscopique, a posé LA question qui sous-tend les interventions précédentes et, plus largement, les préoccupations des producteurs en même temps que les stratégies des diffuseurs : "Est-ce qu’on peut tout faire en relief et peut-on parler de nouvelle grammaire ?" S’il est évident que certains films gagnent à être diffusés en relief, ce n’est pas forcément une règle d’or. Jusqu’à présent, la plupart des contenus 3D relief sont de l’animation, parce qu’on considère cette transition comme "facile", par rapport à la prise de vues réelles, qu’il s’agisse de films, de publicités, voire d’événements spéciaux. Mais cette facilité est-elle tellement avérée ? Tout comme la publicité est considérée comme un terrain d’expérimentation des effets visuels, selon Alexander Lentjes, "l’animation est un peu le bac à sable de la 3D relief", au sens où l’on jouerait à expérimenter, à tester, pour ainsi mieux faire. En témoigne le large éventail proposé par les fabricants : lunettes LCD ou polarisantes, écrans autostéréoscopiques, lenticulaires, rasterisés, 3D active, 3D passive, etc.
Au-delà de cette offre pléthorique et parfois brouillonne, il convient de se poser avant tout des questions de bon sens : pour quelle diffusion ? Le téléspectateur est-il prêt ? Par exemple, on connaît déjà au Japon des programmes ayant des images en 8K pour des écrans lenticulaires, mais la principale contrainte est impossible à appréhender : "On ne gère pas sa position devant l’écran. De fait, il (le téléspectateur) est obligé de ne pas trop bouger s’il veut véritablement faire l’expérience de la profondeur."
De même, il est convenu que l’écart entre les deux yeux, de 6,5 cm environ, qu’on appelle entraxe, n’est pas mature chez les enfants ; dans ce cas, quel relief proposer ? Un pour les adultes, un autre pour les enfants ? Impensable. Autre point qui suscite des interrogations : on sait que les enfants ont tendance à regarder un écran de télévision plus près que ne le fait un adulte. Dans ce cas, quid de la fatigue oculaire ? Et sur la question du passage de programmes 3D relief sur des surfaces de diffusion plus larges qu’initialement prévu, Alexander Lentjes pointe le fait que la convergence des deux yeux sera très difficile à gérer, car le relief aura été pensé pour une fenêtre donnée, pas pour d’autres. Autant de questionnements de bon sens auxquels vient s’ajouter une dimension économique à double foyer : production d’abord, technique ensuite.
S’appuyant sur l’exemple du spécial de Grabouillon, dont l’économie était proche de celle de la série, Paul Leluc explique qu’il a réalisé un gros travail d’enquête auprès des prestataires spécialisés, mais aussi dans des études et autres ouvrages afin de déterminer le pipeline de production le plus efficient. "Il ressort que le plus pertinent est de tout mettre dans la préproduction. La mise au point du relief s’est donc faite durant le layout, nous obligeant à doubler les postes. Côté logiciels, nous sommes passés de 3ds Max 2008 à 3ds Max 2010, pour pouvoir implémenter des nouveaux rigs de caméra." Pour le réalisateur, "le but est de sortir une image native la plus juste possible pour les deux yeux, afin d’avoir le moins de compositing possible à effectuer". Quand on l’interroge sur les temps de rendu, Paul Leluc avoue ne pas savoir avec précision, même si, ajoute-t-il, "l’idée est de sortir très peu de couches, trois passes maximum par oeil. De toute façon, lumière et FX sont volumiques, ce qui fait que l’on peut régler une grosse partie des problèmes au layout."
Dans la salle, Jean-Louis Rizet (ToonAlliance) parle de son expérience sur le long métrage Le Magasin des suicides, de Patrice Leconte, qui, bien qu’en 2D, sera diffusé en relief. "Nous sommes partis d’un composeur existant, qui gérait la 2D mais intégrait aussi la 3D et pouvait supporter l’intégration de plusieurs caméras. Les premiers tests d’animation sont d’ailleurs actuellement en cours." Sur ce long métrage, hormis les effets atmosphériques, type fumée, et les sprites 3D, tout sera en 2D. Mais en relief.
Pour créer du relief sur un film en stop motion, l’option prise par Ceri Barnes sur Postman Pat est d’utiliser une seule caméra que l’on va déplacer pour l’œil gauche et l’œil droit, pour obtenir deux images par pose. "Les animateurs vont disposer d’écrans 3D pour valider les animations." Elle souligne cependant qu’un temps d’adaptation sera nécessaire : "Les animateurs devront se former car la 3D relief ne fait pas encore partie, pour beaucoup, de leur boîte à outils." Une salle de projection sera l’élément clé du studio : chaque semaine, les rushes seront étudiés à fin de validation "pour pouvoir gérer au plus près les éventuels ajustements et retakes à faire". Et Ceri Barnes de préciser : "La fatigue oculaire est au coeur de nos préoccupations pour ce programme destiné aux tout-petits. Pour cela, nous gardons à l’esprit qu’il faudra mettre l’action dans les marionnettes et pas dans la caméra." Enfin, la production réalise actuellement des tests avec les enfants pour déterminer le relief le plus à même de convenir à cet âge : "Entre immersion et jaillissement, nous poussons nos investigations auprès des enfants pour voir ce dans quoi ils sont le plus à l’aise."
La question du coût des productions 3D relief est au cœur des préoccupations des diffuseurs et, souvent, l’option de "transformer" les catalogues existants, à plat, en 3D est envisagée.
Alexander Lentjes avance des chiffres évocateurs : "Le coût de la conversion d’un film 2D en 3D relief est de 5 à 20 M$ pour un 90 mn – 5 M$ pour Le Choc des Titans et 20 M$ pour Alice in Wonderland. Et une série de 52 x 10 mn coûterait 87 M$ à convertir. Le point de rupture, ou palier, permettant d’envisager des coûts moindres se situe pour un film sur des budgets de plus de 10 M$ et, pour une série, de 58 M$. Enfin, le coût d’un tournage 3D natif est estimé à 150 % d’un budget 2D." Ce surcoût porte principalement sur les postes suivants : layout, enregistrement et rendu, stockage, montage et prévisualisation et, enfin, postproduction. En bref, pour le consultant 3D, "ce type de programmes sera cher pour le téléspectateur. Du point de vue de la production, il y aura un fort investissement au départ, qui va doubler le coût mais, au fur et à mesure, celui-ci devrait se réduire à 130 % d’un budget 2D." Et d’insister : "Mais il y aura toujours un surcoût."
Pour parvenir rapidement à ce palier, Alexander Lentjes préconise l’intégration d’un stéréographe dans les équipes en amont du projet pour la garantie de la qualité, ainsi qu’un accord sur les règles d’encodage (à ce titre, il convient de normer le processus) entre les diffuseurs. Sinon, "on risque de se retrouver avec une 3D low cost", ce qui serait "extrêmement négatif pour l’avenir".
Point de vue similaire chez Lionel Fages, qui estime que la conversion d’un film 2D est 18 % plus onéreuse : "On n’est donc pas dans le même ratio, mais je rejoins Alexander Lentjes sur la présence indispensable d’un stéréographe au sein des productions. On va assister à l’émergence d’un nouveau métier dans nos domaines."
Baptiste Heynemann évoque ensuite la question de la conversion automatique, solution à peu de frais pour obtenir des catalogues 3D relief rapidement. Le partage des eaux se fait entre producteurs, à l’instar de Lionel Fages qui est "100 % contre", et diffuseurs, tel Julien Borde, de France Télévisions, qui ne cache pas son inclination sur le sujet. Eleanor Coleman précise qu’à TF1, des tests ont déjà été effectués dans le domaine : "Certains ont fonctionné, d’autres pas. C’est donc uniquement envisagé pour l’instant."
Alexander Lentjes réitère ses avertissements concernant ce procédé qui peut avoir des conséquences sur la vision des téléspectateurs, notamment chez les plus petits. "Avec du contenu adapté dès le départ, le relief est en accord avec ce qu’on attend de lui."
Du côté d’Orange et Canal+, plusieurs projets ont déjà été annoncés, dont la série Kaeloo, produite par Cube et réalisée par Rémi Chapotot. Cette série 3D à plat disposera également de plusieurs épisodes disponibles en 3D relief. Le réalisateur, présent dans la salle, explique : "Nous avons un montage très cut dans la série à plat et nous avons choisi de le conserver dans sa dimension relief, même si, naturellement, nous avons dû ralentir le rythme." Selon lui, le relief est plutôt une bonne idée pour tout ce qui est cartoon.
Avec des diffuseurs qui alternent entre réelle implication et attentisme stratégique, des producteurs et auteurs qui investissent dans des projets mais à pas mesurés, et des fabricants qui poussent à une course à l’armement technologique, la 3D relief a surtout besoin d’un cadre dans lequel elle puisse assurer à la fois un contenu de qualité, adapté aux modes de diffusion, et un niveau d’exigence – et donc des coûts – suffisant pour ne pas risquer une réaction négative de son audience. Ainsi que le précise Alexander Lentjes, "il est temps de penser à une certification 3D relief".
Baptiste Heynemann, dans sa conclusion, souligne que le CNC a mis en place des aides pour le relief, en plus des dispositifs classiques ; sont ainsi disponibles des aides aux nouvelles technologies en production, le programme RIAM et soutien financier aux industries techniques. "Le CNC va intensifier l’implication et le montant des aides."