Rationaliser et structurer en amont la production d'un court ou long métrage, d'une série, en constituant un workflow précis ou une bible graphique... La préproduction est une étape nécessaire, souvent négligée dans le processus de création d'un film ou d'une série. Cette conférence montrera à quel point cet élément est incontournable pour anticiper et fluidifier la production et la postanimation.
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Avant de débuter la session, la modératrice a souhaité donner son appréciation sur la préproduction, cette phase de la création d'une œuvre, souvent oubliée et pourtant essentielle : "Il s'agit d'apporter sa contribution à un stade de fabrication d'une série ou d'un film, s'organiser en étant à l'écoute des équipes, sous forme d'échanges tout en relevant le défi de la productivité." Enfin, elle a tenu à préciser que par postanimation, on entendait tout ce qui se trouvait en amont du montage image. La session est donc scindée en deux parties correspondant aux deux phases.
Adéquation et communication pour HLC
Florent Heitz et Thomas Dorval ont créé HLC Production il y a huit ans, comme prestataires pour des studios d'animation. Leur activité consiste à intervenir "très en amont des productions, afin de mettre sur pied un workflow qui soit le plus fluide possible, précise Florent Heitz, avec la constitution d'une bible artistique (ou 'main pack') pour structurer au mieux la phase production". Partant de leurs expériences communes, comme intermittents puis au sein de Bulles de Com/Bulles de Prod, les deux hommes pointent les "frictions inhérentes entre la production et les techniciens, avec, comme conséquence de cette mauvaise communication, des dépassements de planning. Ce qui ajoute encore à ces dysfonctionnements." Pour Florent Heitz, il ne faut pas perdre de vue qu'une équipe est constituée à la fois d'artistes et de techniciens et que, à ce titre, il convient de bien gérer les deux aspects possibles de la personnalité : "On note que la production avait des manques de connaissance de la dimension artistique des techniciens et technique des artistes."
Concrètement, explique Thomas Dorval, la préproduction consiste à fabriquer, classer, archiver tous les éléments nécessaires à la fabrication d'une série. Et de pointer qu'une "série de 26 x 26' représente treize heures de programme ; nous sommes donc réellement dans une industrie, même si demeure une forte connotation artistique". Selon lui, seuls des artistes d'expérience, avec une très forte créativité, devraient intervenir durant cette phase. La notion de validation est essentielle pour mener la suite de la fabrication, mais elle doit, dans ce cas, faire montre de diplomatie pour éviter, très (trop ?) tôt, des frictions. "Une carence en préproduction se trouve multipliée par cent durant la production à proprement parler."
Pour HLC, les clés du succès résident dans "un choix raisonné des artistes qui vont travailler sur la constitution du pack, un arbitrage permanent sur les quantités et le style, une adéquation des éléments fabriqués avec le concept de la série, une prise en compte des contraintes… Et surtout, il faut entretenir une communication constante entre tous les interlocuteurs."
Du bon usage de la réutilisation
Créateur du logiciel CelAction pour l'animation 2D, en 1997, Andy Blazdell compte à son actif plus d'une vingtaine de séries d'animation importantes ayant utilisé CelAction, actuellement en version 3. C'est à partir de ce retour d'expérience qu'il a pu échafauder certaines lignes forces qui, selon lui, doivent être appliquées pour la réussite d'une production. Parmi celles-ci, il pointe notamment le fait de savoir "bien préparer les assets, mais aussi de savoir les réutiliser". Il liste ainsi les dessins – à l'instar des squelettes du département rigging dans une production en images de synthèse – mais aussi l'animation, les arrière-plans et certains effets. Naturellement, toute la finesse tient en ce que l'on ne perçoive pas la réutilisation : "tout est dans la force de la composition".
Reste également à déterminer quand prendre la décision de réutiliser tel ou tel élément. Pour Andy Blazdell, cela peut survenir durant le design des personnages et/ou des décors, le script et le storyboard – "les deux étant intrinsèquement liés" – et l'animation. "Les cycles de marche, par exemple, s'ils sont intelligemment combinés, sont un gain de temps précieux." Il ajoute, pour ce qui a trait aux effets, à l'éclairage et aux ombres : "L'avantage de la réutilisation est que toute modification s'en trouve facilitée après l'animation, d'une part et, d'autre part, il est plus aisé de réutiliser l'animation pour d'autres médias, comme dans le cas de projets transmédias."
À titre d'exemple, il évoque la série Humf (78 x 7'), qui compte trois personnages principaux, trois secondaires, environ 1 500 dessins par personnage pour une moyenne globale de 10 000 dessins pour tous. Au total, pas moins de 819 000 images sont présentes dans la série. À première vue, on ne distingue guère de réutilisations et, pourtant, la prochaine saison de la série sera, sur cette partie du moins, "entièrement gratuite, car tout est déjà créé". Tout est donc question de préparation : "Plus vous investissez en préproduction, plus vous ferez d'économies en production."
Une réutilisation réussie est invisible
En écho aux propos du fondateur de CelAction, Arnaud Réguillet (Executive Toon Services – ETS) confirme "qu'une réutilisation intelligente est celle qui ne se voit pas". Directeur des productions de la Toon Alliance, qui rassemble sous cette ombrelle plusieurs studios aux compétences complémentaires (Caribara pour la préproduction, l'animation numérique ; TTK pour l'animation 2D et 3D ; Mac Guff pour la 3D ; Ramses2 pour la postproduction image et son), il précise : "Notre idée, au sein de la Toon Alliance, est de proposer tout ou partie de la chaîne de production à un producteur. Plus on est en amont de la fabrication, dès l'écriture au mieux, plus nous sommes à même de déterminer comment rationaliser le pipeline."
Cela passe naturellement par des étapes clés, souvent triviales, mais rarement adoptées : savoir recruter la bonne équipe, en déterminer la taille critique, "ce qui aide pour la transmission d'informations", et enfin, bien connaître le budget afin de savoir "où fabriquer".
La mise en place de solutions de suivi de production est également un atout et, à ce titre, Arnaud Réguillet évoque Toon Manager, de la société TTK, membre de la Toon Alliance.
L'anticipation est essentielle
"Le point clé d'une chaîne de production réussie est la fluidité", précise en préambule Bruno Gaumétou. "Il faut savoir prendre les bonnes décisions et mettre en place pour cela les bonnes méthodologies, car plus on est dans le détail de ces méthodologies, plus fluide sera la transmission de la création et des documents afférents." Tous les intervenants s'accordent à dire que, même lourde à mettre en place, cette étape de méthodologie est essentielle.
Bruno Gaumétou met en avant plusieurs documents fondateurs pour une bonne préparation :
Ainsi qu'il l'explique, "toutes ces tâches sont fondamentales, même les plus secondaires. L'anticipation estessentielle."
Arnaud Réguillet résume ce qu'est la postanimation : "Après l'animation, c'est l'étape de convergence, celle où l'on éprouve la cohérence de la chaîne de fabrication."
Pour Thomas Dorval, cette étape peut être gérée par une équipe réduite qui "finalise sur site, lorsqu'une partie de la production est délocalisée en Asie ou ailleurs".
Rompu à cet exercice, Bruno Gaumétou liste ce qui, selon lui, permet d'obtenir une bonne postanimation et, plus largement, une bonne postproduction. Douze critères concomitants permettent de finaliser cette étape :
Souvent chronophage et intrinsèquement subjective, l'étape des retakes peut être relativisée si, une fois encore, elle participe d'un ensemble fluide et est basée sur la notion de validation.
Pour les éviter, il faut, selon Bruno Gaumétou, "embaucher les 'bonnes' personnes, avoir fait beaucoup de tests en amont". Thomas Dorval évoque pour sa part l'utilisation d'outils de type DAM (Digital Asset Management), comme SPI Production, de la société 3Dclic. Pour autant, il explique que "la retake fait partie du métier". Andy Blazdell est plus circonspect sur l'utilisation de telles solutions : "Il y a un danger à trop complexifier les processus du pipeline. Avoir un outil de gestion peut s'avérer utile, mais il convient de garder par-dessus tout le facteur humain de la chaîne de fabrication."
Plusieurs outils de gestion de production existent sur le marché. Sont notamment cités : Damas, HoBSoft, etc. Mais, ainsi que le rappellent les intervenants, "tout dépend de la production et des besoins corrélés". À la question de savoir s'il convient d'intégrer une telle solution en amont de la fabrication ou si une éventuelle implémentation, plus tardive, en phase de production, est possible, Marie-Pierre Journet évoque l'exemple du long métrage Titeuf, à la production duquel treize studios ont collaboré au lieu de cinq comme initialement prévu. Tous ont intégré SPI Production durant la fabrication, en toute fluidité. Et Bruno Gaumétou de conclure sur ce point : "La multiplication des studios ne modifie pas la structure. Vous devez anticiper au maximum, rationaliser, prévoir les dépassements et vous munir de méthodologies solides, assorties ou pas de solutions de suivi de production."
Un autre point de convergence emporte l'adhésion : il faut savoir dire "non" au commanditaire et que ce dernier comprenne que tout n'est pas possible. "Ou alors, qu'il y mette l'argent nécessaire", notent Andy Blazdell et Arnaud Réguillet. "C'est aussi au prestataire de trouver des solutions de repli, pour que chacun puisse avancer sans aller à la confrontation."
Rédigé par Stéphane Malagnac, Prop’Ose, France
Contact : christellerony@citia.org
La synthèse des conférences Annecy 2011 est réalisée avec le soutien de :