Quelles stratégies les studios doivent-ils mettre en place à l'heure de la concurrence planétaire ? Copenhagen Bombay opte pour une diversification des projets dans une optique cross-média pour réduire les risques financiers. 2 Minutes met l'accent sur la R&D en développant des logiciels propriétaires. Des ouvertures à la coproduction sont également évoquées tandis que pour certains l'animation et la cohésion d'une équipe sont essentielles. Autant de stratégies dévoilées ici.
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Dans une situation de concurrence planétaire, où se croisent les paramètres esthétiques, techniques, organisationnels, financiers, économiques et réglementaires, les stratégies des studios peuvent prendre des formes extrêmement différentes selon leurs domaines d'expertise, leur taille, leur accès au marché, leur localisation géographique, leur culture. Cinq studios présentent ici leurs approches pour illustrer cette diversité.
Copenhagen Bombay a été créée au Danemark en 2006 par le réalisateur Anders Morgenthaler et la productrice Sarita Christensen, en association avec Nordisk Film. Il s'agissait de mettre sur pied à la fois une société de production et un studio d'animation avec des œuvres à destination d'un public enfant. À cette stratégie s'ajoute une dimension cross-média qui permet de penser chaque projet dans une optique multiécran pour une rationalisation des coûts et le retour de gains potentiellement plus importants parce que provenant de sources diverses. C'est pourtant avec un long métrage pour adultes, Princess, que le studio se fait connaître. Réalisé par Anders Morgenthaler, le film qui mêle animation et prises de vues réelles a été présenté au festival international du film de Cannes 2006, en compétition pour la Caméra d'or lors de la Quinzaine des réalisateurs. Considéré comme le premier long métrage d'animation pour adultes, Princess a disposé d'un budget de 1,2 M€ ! Cinq ans après sa création, le studio compte à son actif cinq films (trois longs métrages et deux fictions TV) et plusieurs séries à divers stades de production.
Pour Petter Lindblad, la stratégie de Copenhagen Bombay est de miser sur une grande diversification des projets, "ce qui réduit d'autant les risques financiers. Avoir des projets 'low budget', basés sur l'exemple de Princess, est également un gage de confiance, car le studio a su prouver que low budget ne signifiait pas pour autant low quality." Le studio préfère tout internaliser plutôt que sous-traiter, car cela permet "d'avoir la main non seulement sur l'aspect créatif, mais aussi sur l'aspect financier. En outre, de cette façon, les bénéfices reviennent de facto à Copenhagen Bombay."
Il estime que la fabrication à plusieurs studios est souvent source de problèmes liés au décalage horaire entre les différentes structures, mais aussi à des incompréhensions culturelles, sans omettre la difficulté à manager des équipes réparties dans le monde.
Le producteur n'est pas naïf pour autant et il admet que la contrepartie d'un budget peu conséquent – dernier exemple en date, The Great Bear a été produit pour 1,7 M€ – contraint souvent à tricher. "Sur l'image, nous avons ajouté des éléments de décors avec Photoshop, sans animation, pour réduire les coûts. De même, nous avons parfois dû réécrire le script car les envies créatives dépassaient la faisabilité technique et économique du projet. Plusieurs options se posent alors à nous : réduire le nombre de personnages, de scènes, supprimer des effets trop complexes, des mouvements de caméra trop audacieux. Mais n'allez pas croire que tout se fait au détriment de la qualité ; tout est toujours pensé dans un esprit d'optimisation, jamais contre l'histoire."
Fondé en 2000 avec l'idée de faire de la série pour le Web, le studio 2 Minutes s'est finalement orienté vers la production de séries d'animation pour la télévision. Dix ans plus tard, son fondateur Jean-Michel Spiner affiche 25 séries, selon des techniques différentes, et plusieurs interventions sur des longs métrages. Le studio 2 Minutes est présent à Angoulême, Paris, Québec et Hong-Kong. L'une des forces de la structure est de mettre l'accent sur la recherche et le développement (R&D) pour développer des outils propriétaires ou basés sur des logiciels du marché. "Nous avons ainsi mis sur pied des logiciels ou des plugins pour la réutilisation d'assets, pour la création de pantins articulés ou un logiciel de storyboard et d'animatique numériques", précise l'ancien développeur de Pixibox qui a œuvré au logiciel MediaPEGS. "Nous sommes également partie prenante du projet HD3D, qui a permis de mettre en place une solution de gestion et suivi de production, baptisée ArtForge, en collaboration avec d'autres studios comme Mac Guff, TeamTO, Duran Duboi, Mikros Image, Eclair et LTC." Aujourd'hui, 2 Minutes compte environ une centaine de personnes, réparties sur les quatre sites.
La stratégie de 2 Minutes est l'ouverture à d'autres métiers. Ainsi, si la prestation a été le cœur de métier du studio à sa création, ce dernier s'est ouvert en 2004 à la coproduction avant de développer ses propres projets en 2007.
2010 marque l'arrivée sur les écrans (Gulli) de la première série 100 % 2 Minutes, Rosie, et l'année 2011 est marquée par l'entrée du studio dans la famille des distributeurs.
Pour Jean-Michel Spiner, "un studio doit se composer :
Interrogé sur le choix de la localisation de la fabrication, le directeur de 2 Minutes avance plusieurs paramètres : "Le premier est bien évidemment le coût de la main-d'œuvre ; les conditions de coproduction jouent tout autant que la délivrance d'aides régionales et/ou nationales ; le planning et le coût de la coordination liés à cette une éventuelle localisation hors de France sont également déterminants." Jean-Michel Spiner demeure "convaincu de l'intérêt crucial de concentrer au mieux les travaux, car le travail à distance n'est pas la panacée". Dernier paramètre en lice, fortement humain : le plaisir et l'implication dans le projet. "Lorsqu'on ne voit qu'un bout du décor, d'un personnage, sans en apprécier, au sens premier du terme, l'ensemble, cela peut rapidement s'avérer être un frein." Fort de ces enseignements, c'est à chaque responsable de mettre en forme ces différents critères et d'en juger la pertinence.
Sur le sujet, il conclut qu'il "faut savoir renoncer à une aide, quelle qu'elle soit, plutôt que de localiser à tout prix". Des propos qui suscitent une large adhésion.
Plusieurs exemples viennent étayer son argumentaire. Rosie est le cas typique d'une production qualifiée de "ramassée" dans le sens où, à l'exception du script, des voix et du travail de laboratoire (à Paris), tout a été conçu à Angoulême. Certes, la présence sur place du réalisateur a joué pour aller dans ce sens, "mais nous avons réellement poussé la réflexion jusqu'à faire venir des storyboarders qui, en principe, travaillent plutôt chez eux. Là, nous avons voulu une réelle cohérence".
Chico Chica Boumba Pepper School, coproduite avec Dandeloo pour M6, a vu sa production partagée entre la France et la Chine. "La raison était que l'animation s'avérait gourmande en temps et qu'une localisation 100 % en France n'aurait pas eu une grande valeur ajoutée. C'était le meilleur compromis par rapport à une sous-traitance pure."
Le long métrage Approved for Adoption qui mêle prises de vues réelles et animation a, pour sa part, nécessité l'utilisation de Damas, le logiciel de suivi de production, car celle-ci s'est partagée entre Paris, Séoul, Angoulême, Bordeaux, Strasbourg, Arles, Charleroi et Nancy, avec un metteur en scène en déplacement permanent entre ces différents sites. "Cette localisation peut fonctionner sur un long métrage, admet Jean-Michel Spiner, mais je reste dubitatif sur son usage dans le cadre d'une série. Enfin, je persiste à dire que cela peut s'avérer frustrant de ne pas voir la continuité des plans sur lesquels, par exemple, les artistes du layout ont travaillé." À la question du public sur le possible problème lié au décalage horaire quand plusieurs studios étrangers collaborent, Jean-Michel Spiner répond que, "bien exploité, cela peut même devenir un atout en permettant de ne jamais interrompre la fabrication. Je dirais que c'est plutôt le décalage culturel qui peut nuire à la pertinence d'un tel mode de production. L'effet positif est que cela force à être extrêmement précis, donc, normalement, à fournir une image de meilleure qualité."
Avec le temps, 2 Minutes a pu attaquer le marché qui était sa raison d'être première : le Web. "Pour y parvenir, il faut que les auteurs, tous les auteurs, travaillent en amont, afin que la dimension cross-média soit, dès le départ, bordée." Pour Jean-Michel Spiner, avoir une chaîne de télévision comme partenaire pour la création d'un jeu vidéo, par exemple, est une bonne chose en soi mais n'est pas l'élément moteur. Cela permet juste de mieux vendre la série. Sur Chico Chica Boumba, les producteurs ont créé une application de réalité augmentée avec des pas de danse synchronisés. Rosie, pour sa part, est une série qui a donné lieu à la conception de trois jeux vidéo, hébergés sur le site de la chaîne de télévision (Gulli). "Cette partie a été internalisée et nous avons capitalisé sur des briques logicielles." Jean-Michel Spiner précise que les jeux ne font pas partie des ventes internationales : "ils ne servent qu'à rendre la série plus attractive mais ils font partie du tout".
Basé à Vancouver, Rainmaker Entertainment est, avec près de 300 personnes, l'un des studios d'animation les plus importants d'Amérique du Nord. Dirigé depuis 2005 par Warren Franklin, membre influent de l'équipe créative de Lucas Film et ancien dirigeant du studio ILM, le studio s'appuie sur une "équipe centrale très créative" pour réaliser des cinématiques de jeux, des courts et longs métrages. "Nous essayons, dans la mesure du possible, de conserver la quasi-totalité de nos productions sur site afin de garder une cohérence et une communication de tous les instants", précise Warren Franklin. "Nous partons aussi du principe que tout le monde, dans la société, est à même de devenir un auteur. C'est pourquoi nous encourageons les salariés, quels qu'ils soient et pas seulement les graphistes, à proposer des idées, basées sur nos personnages mascottes que sont Ting et Juma, un extraterrestre et un homme des cavernes. Nous avons déjà produit quatre courts métrages à propos des Jeux olympiques ou sur la création de notre logo, avec ce tandem."
Rainmaker Entertainment prépare également plusieurs projets de longs métrages dont Escape from Planet Earth, dans lequel des aliens, capturés par les humains, essayent par tous les moyens de s'échapper – une sorte de Grande Évasion avec un alien en lieu et place de Steve McQueen. Autre projet en cours, l'adaptation des aventures de Ting et Juma en version longue. Rainmaker a engagé le comique canadien Harland Williams pour collaborer à l'écriture du film.
Si le long métrage reste attractif pour tous les studios, Warren Franklin ne méprise pas pour autant la valeur du court : "Ce sont les courts métrages qui ont d'abord fait la réputation de tous les grands studios du monde que nous connaissons à ce jour : Disney, Pixar, Ghibli, etc. C'est un laboratoire extraordinaire et une zone d'expression pour la créativité la plus débridée. Avec leur diffusion sur les réseaux sociaux, type Facebook, le court représente une vitrine incroyable pour les studios, dont il faut profiter."
Longtemps considérée comme un sous-traitant d'animation, l'Inde veut s'émanciper de son image restrictive de "petite main". Créé en 2000, Crest Animation Studios Limited a ouvert la voie à l'animation indienne dans le marché mondial des produits en images de synthèse avec, notamment, le long métrage Alpha & Omega, coproduit avec Lionsgate et réalisé par Anthony Bell et Ben Gluck (2010). Ce film en 3D stéréoscopique a d'ailleurs été le premier d'origine indienne à concourir aux Oscar 2011 dans la catégorie Animation, même s'il n'a pas été retenu dans la short list finale…
A.K. Madhavan, P.D.G. de Crest Animation, a bataillé pendant plusieurs années avant d'être considéré comme un producteur à part entière. "J'ai écouté beaucoup, on m'a peu écouté, j'ai essuyé pas mal de revers, mais toujours j'ai retenu la leçon qui m'a permis d'avancer."
Selon lui, "il faut quatre éléments fondateurs qui sont les quatre piliers constitutifs d'un studio". Le premier d'entre eux est d'abord de penser à "créer quelque chose sur le plan international. Envisager un projet qui soit uniquement destiné à une audience nationale, quand bien même il s'agirait d'un pays aussi important que l'Inde, est une erreur d'appréciation énorme."
L'autre pilier sur lequel doit reposer un studio est "un pipeline efficace. Pour cela, nous avons engagé de nombreux chefs d'équipe aux États-Unis, qui nous ont permis de constituer un studio assez solide pour pouvoir nous lancer d'abord dans la prestation, puis dans la production. Nous avons également mis sur pied plusieurs outils – dont un de suivi de production et un autre de rendu – qui correspondent à nos besoins, sans dépendance logicielle."
Le troisième pilier est un fort réseau de distributeurs. Crest Animation a ainsi signé un accord avec Lions Gate Family Entertainment pour la coproduction de trois longs métrages, dont Alpha & Omega est le premier. Ce film, qui relate les aventures de deux jeunes loups enlevés par des chasseurs et qui cherchent à rejoindre leur territoire, a été réalisé intégralement en Inde en moins de 8 mois ! Il a été distribué dans de nombreux pays parmi lesquels la France en octobre 2010.
Le financement représente le dernier des quatre piliers : "Sur Alpha & Omega, nous avons disposé d'un budget de 22 M€, ce qui est très confortable pour produire une animation riche et de qualité."
Anthony Roux est l'un des trois cofondateurs du studio Ankama qui a su développer en 10 ans un univers singulier, le Krosmoz, d'où ont émergé, entre autres, le MMORPG Dofus et la série TV Wakfu. À l'instar d'A.K. Madhavan, Anthony Roux a d'abord commencé par essuyer des rebuffades. "Nous étions trois, avec un pécule de 3 000 € chacun, et personne ne voulait miser sur nous et nos projets." Dix ans plus tard, Ankama s'est diversifié dans le jeu vidéo, l'animation, les médias (Web TV), l'édition, la musique, l'organisation d'événements, les produits dérivés et la presse. 450 salariés composent les équipes d'Ankama réparties entre Roubaix, siège historique, Paris, Lyon et Tokyo. En 2010, la société a généré 40 M€ de chiffre d'affaires et 40 millions de joueurs dans le monde sont connectés à Dofus.
La force d'Ankama est d'avoir misé d'emblée sur la notion de transmédia. "C'est très valorisant de voir, entre les départements, les créations de chaque équipe. C'est une forte émulation et cela participe pleinement de notre stratégie jusques et y compris dans les ressources humaines : on voit ainsi une personne du jeu vidéo écrire un script d'épisode pour la série ou vice-versa", confirme Anthony Roux. "Notre philosophie est de ne jamais raconter la même histoire, ce qui aurait pu être le cas en 10 ans. Mais nous avons un département, celui des Historiens, dédié à la cohérence de l'univers dans ses multiples ramifications pour éviter toute redondance, erreur ou impasse scénaristique."
Ankama prépare actuellement trois longs métrages dont deux seront basés sur l'univers Krosmoz. Le premier, Dofus, sera produit à l'étranger : "nous aimerions le localiser en France, mais cela nous obligerait à tripler nos effectifs, ce qui est impossible", déplore Anthony Roux. Wakfu, du nom de la série diffusée sur France Télévisions sera, pour sa part, produit en France par les équipes de la série. Enfin, Mutafukaz, créé par Run, pourrait se retrouver en salle en 2013.
Ankama est un studio pragmatique ainsi que l'explique son cofondateur : "Le jeu vidéo nous assure un financement suffisant pour que nous puissions nous porter sur d'autres projets. Mais il faut garder à l'esprit que la première série de Wakfu nous a coûté 9 M€ pour une vente à 6, tandis que la saison 2 a été vendue au même prix mais pour un coût de 6,5 M€. C'est sur les ventes internationales que nous opérons un bon retour sur investissement."
Concernant la pertinence de mettre en place un département R&D, Anthony Roux avoue suivre cela de loin tandis que Petter Lindblad admet ne pas en disposer, fidèle à la stratégie d'optimisation des investissements. À l'inverse, A.K. Madhavan estime qu'il est primordial d'avoir une équipe à même de répondre à des besoins bien spécifiques durant une production. Jean-Michel Spiner indique que "cinq personnes sont dédiées à cet aspect de la production au sein de 2 Minutes". Enfin, Warren Franklin préfère s'appuyer sur les écoles et universités présentes à Vancouver pour "expérimenter leurs innovations et pouvoir échanger".
Rédigé par Stéphane Malagnac, Prop’Ose, France
Contact : christellerony@citia.org
La synthèse des conférences Annecy 2011 est réalisée avec le soutien de :