Synthèses des conférences 2011

Longs métrages : 4 études de cas | Conférence Longs métrages : 4 études de cas - Annecy 2011 ©

Longs métrages : 4 études de cas

  1. Intervenants
  2. Modérateur
  3. Introduction
  4. Soul Man, long métrage transmédia
  5. Pinocchio 'prodotto da' d'Alò
  6. Zarafa : l'odyssée d'une girafe
  7. Chico & Rita : une production internationale

Sommaire

Confidences de réalisateurs et producteurs de quatre longs métrages pour comprendre les coulisses de leur fabrication. Pour quelques-uns, il s'agira de réaliser un pilote pour démarcher les exploitants, ainsi que de travailler sur un business model multisupport. Tandis que certains s'attacheront à créer un storyboard, un vidéoboard, voire un colorscript, d'autres travailleront à partir de prises de vues réelles.

Intervenants :

Modérateur :

Introduction

Après avoir abordé la stratégie des studios quant à leurs méthodes de travail, la session se propose d'aborder, au travers de quatre longs métrages à différents stades d'avancement, la vision à la fois artistique, économique et technique de cinq réalisateurs et producteurs, avec un éclairage sur les principaux défis auxquels ils ont été ou sont confrontés.

Soul Man, long métrage transmédia

Soul Man est un ambitieux projet de long métrage d'animation 3D relief mené dans une approche transmédia par Guillaume Ivernel et sa société, Blacklight Movies. Auparavant, ce dernier avait réalisé avec Arthur Qwak le film Chasseurs de dragons, en 2008, pour un budget de 12 M€ (Futurikon).


"Nous avons eu près de 600 000 entrées en France et le film a été le cinquième film français à avoir fait le plus d'entrées dans le monde cette année-là", précise Guillaume Ivernel. Inspiré par une expérience personnelle, Soul Man puise également sa source dans le personnage de Barbarella, créé pour la bande dessinée par Jean-Claude Forest : un personnage féminin à la puissance érotique indéniable. Pour Soul Man, Guillaume Ivernel s'est attaché la collaboration du romancier Caryl Ferey, auteur de Zulu. C'est en lisant la biographie du producteur hollywoodien Robert Evans que le réalisateur a décidé de passer également du côté de la production : "Durant l'âge d'or de Hollywood, la plupart des producteurs venaient du terrain, ce qui leur conférait une certaine maîtrise de la réalité de nos métiers, avec leurs contraintes."


Premier écueil : la volonté d'être à la fois producteur et réalisateur suscite des réactions plutôt négatives, notamment en regard de l'ambition du projet. Pour convaincre, Guillaume Ivernel décide donc de réaliser un pilote de huit minutes pour un budget de 1 M€. Afin d'optimiser cette enveloppe au mieux, et fort de son expérience, Guillaume Ivernel choisit de faire faire une prévisualisation complète du pilote chez Les Androïds Associés. Outre un storyboard très détaillé, de nombreuses références vidéo ont servi pour créer ce précieux document de travail, confié ensuite aux animateurs.


Il fédère également Digimage, via le studio Def2Shoot, Piste Rouge et XLRender. "Afin de tenir les délais de fabrication, nous avons déporté le rendu de séquences de synthèse chez XLRender, société basée en Suisse, à Lyon et aux États-Unis. Le pilote a été fait avec Maya pour le modeling et l'animation, ainsi que mental ray pour le rendu. L'enregistrement des voix des comédiens américains s'est effectué à distance depuis les studios de la société Piste Rouge, qui s'est chargée également du design sonore et du mixage 7.1."


Guillaume Ivernel, actuellement en recherche de financement (à hauteur de 30 M€) pour le long métrage, prévoit de réaliser une trilogie au sein d'un univers transmédia : "Les déploiements transmédias, multiplateformes, marketing, branding et licensing sont les principaux éléments de la stratégie de Blacklight Movies autour du concept Soul Man. L'objectif principal est de positionner, exploiter et monétiser les assets du film en tant que véritable franchise et marque, disponible sur de nombreux supports (cinéma, jeux, TV, livres, mobiles, PC, tablettes, vêtements, goodies, jouets, etc.), proposant à chacun un contenu adéquat."


Un des principaux aspects du business model de Soul Man est de mettre en œuvre une franchise culturelle pérenne, exploitant de nombreux supports existants et futurs (jeux en ligne massivement multijoueurs, e-commerce, goodies virtuels, jouets et figurines, musiques, programmes TV et Web à la demande en partenariat avec les grandes marques, centrales, chaînes de télévision et distributeurs). "Le concept n'étant pas d'exploiter une licence de film, mais bien d'installer une franchise culturelle pérenne, créatrice de contenus, sans cesse en mouvement, s'adaptant aux nouvelles audiences et aux nouveaux supports."

Pinocchio 'prodotto da' d'Alò

Le roman de Collodi est l'un des livres les plus traduits au monde. Étonnamment, bien que son auteur soit italien, il n'avait jamais été adapté en Europe en animation. "Nous avions la version de Disney, magnifique, mais édulcorée car correspondant non seulement à une époque, mais aussi à une vision très américaine", rappelle, en guise d'introduction, le metteur en scène Enzo d'Alò, qui signe ici son cinquième long métrage. "Je suis donc parti du roman et, rapidement, la collaboration avec Lorenzo Mattotti a fait sens : il avait déjà publié, en 1993, une version illustrée du livre et je trouvais que son approche, ses textures, correspondaient parfaitement au film que je voulais faire." En 2001, le metteur en scène italien présente au Festival d'Annecy un pilote de Pinocchio, mais la concurrence du projet en prises de vues réelles de Roberto Benigni le contraint à laisser le film en suspens.


Le film, qui devrait sortir en 2012, est coproduit par Cometa Film (Italie), Iris Productions (Luxembourg), 2d3D Animations (France) et Walking The Dog (Belgique). Il est soutenu par la Région Poitou-Charentes et le Département de la Charente. Le film est préacheté par CANAL+, TPS Star, Ciné Cinéma et sera distribué par Gebeka Films.


Le principal défi pour le réalisateur, habitué à travailler en animation traditionnelle, a été de modifier totalement son mode de fonctionnement pour une production "sans papier". "Après plusieurs essais, notre choix s'est porté sur le logiciel Toon Boom, plus habitué à la série qu'au long métrage, mais plus proche de ma sensibilité que d'autres outils. Nous avons eu des discussions constantes avec les équipes de développeurs afin de le rendre encore plus cohérent vis-à-vis de la production."


Premier changement : le storyboard. Enzo d'Alò explique : "Dans mes quatre premiers films, je travaillais avec une équipe de six à sept personnes, séquence par séquence. Ici, je me suis entouré d'un superviseur du storyboard avec lequel nous avons d'abord conçu un préboard. J'ai également réalisé de nombreux dessins avec Lorenzo Mattotti, que nous avons scannés au format PSD pour servir de références. Le storyboard a nécessité près de dix mois pour coller au plus près de la vision finale."


À ce storyboard, le metteur en scène a également ajouté la musique originale de Lucio Dalla et les voix, anglaises, pour obtenir ce qu'il nomme le vidéoboard qui devient, en quelque sorte, "la bible du film. Il permet de maintenir le rythme de l'animation, des mouvements de caméra. Bref, c'est un document précieux." Le metteur en scène a également porté l'accent sur les couleurs de Mattotti, les matières, que "nous avons tenté de reproduire sur Photoshop, notamment le grain. Cela a nécessité un énorme travail sur les niveaux, la transparence. L'avantage de cette numérisation est que nous pourrons ensuite jouer sur les calques, même plus tard dans la production."


Le layout, réalisé chez Walking The Dog, en Belgique, a nécessité l'adjonction d'une "petite équipe pour cleaner les images".


Après avoir présenté un extrait du vidéoboard dans la séquence du pêcheur vert, non présente dans la version Disney, Enzo d'Alò conclut en expliquant que la production va prochainement finaliser la phase d'animation. "C'est un véritable challenge pour moi que de travailler sur ordinateur ; cela m'oblige à penser différemment et à m'appuyer sur des compétences qui me sont inconnues."


À la question de l'emploi de voix anglaises pour une production européenne d'un roman italien, Enzo d'Alò répond "que ce sont les voix finales qui ont déjà été enregistrées à Montréal. Le choix de l'anglais est purement commercial : nous espérons ainsi qu'il se vendra mieux."

Zarafa : l'odyssée d'une girafe

Prima Linea Productions est une société de production fondée par Valérie Schermann et Christophe Jankovic en 1995. À son actif, on compte plusieurs films tels que U, Peur(s) du noir, Loulou et autres loups et, plus récemment, L'Homme à la Gordini. Zarafa est un long métrage 2D qui retrace l'histoire vraie d'une girafe offerte par le pacha d'Égypte, Méhémet Ali, à Charles X, roi de France, vers 1830. Elle sera la première girafe importée en France et terminera ses jours au Jardin des plantes de Paris… Dans le film, un girafon prénommé Zarafa et accompagné par un jeune garçon, Maki, vont entamer un périple du Soudan à Paris en passant par le désert, les villes d'Alexandrie, Marseille, à la fois en bateau et en ballon dirigeable.


"C'est la première fois que nous recevions un scénario en premier, explique en préambule Valérie Schermann, avec un tandem composé de Rémi Bezançon et Jean-Christophe Lie, réalisateur de L'Homme à la Gordini. Rémi, habitué aux films en prises de vues réelles, a littéralement flashé sur le style de ce court métrage et l'alchimie fonctionne parfaitement bien entre les deux hommes depuis deux ans et demi." Côté montage financier, Zarafa a bénéficié de l'investissement de Pathé (pour la distribution), France 3, CANAL+. "Tout a été très rapide et, avec Scope Pictures, un tax shelter, nous avons confié l'animation à un studio belge, sous la houlette de Satjit Matharu, qui a collaboré sur de nombreux films comme Curious George ou Nocturna."


Avant de démarrer la production de ce film historique, la production a souhaité se documenter pour conserver le réalisme des bâtiments, préhaussmanniens, mais aussi des toilettes et autres accessoires. Beaucoup de recherches ont été également réalisées en sculpture pour servir de références aux animateurs. La phase de storyboard a été mise en place à quatre mains, avec "Rémi, qui donnait les grandes lignes, et Jean-Christophe, qui s'occupait de finaliser l'ensemble", précise Christophe Jankovic. En tout, cinq mois auront été nécessaires à cette étape. Comme souvent, la construction dramaturgique des personnages s'est basée sur les voix du casting, enregistrées préalablement, là aussi pour aider les animateurs dans leur travail. Parmi les voix, on note celles de Simon Abkarian, François-Xavier Demaison ou encore Fellag.


Pour l'animatique, la production a fait le choix, à l'initiative de Jean-Christophe Lie, de réunir, dès la phase de storyboard, une équipe d'animateurs, très expérimentés, qui ont participé à toutes les étapes de fabrication – une fois encore pour que le pipeline de production en aval soit le plus optimisé possible. En parallèle, un colorscript a permis de déterminer l'intégralité des ambiances chromatiques du film, évitant ainsi l'écueil de trop nombreuses séquences de nuit : "Ce n'était pas évident à la lecture du script, mais ce colorscript a su démontrer son efficacité. Nous avons alors repris certaines séquences pour les rendre diurnes afin que l'ambiance ne soit pas trop plombée."


Le reste de la production s'est déroulé selon un processus homogène et le film devrait sortir en février 2012 en France. Christophe Jankovic note que de plus en plus de réalisateurs de films en prises de vues réelles, comme Rémi Bezançon, passent à la réalisation de films d'animation, à l'instar de Patrice Leconte (pour Le Magasin des suicides). "Je pense qu'ils peuvent apporter énormément en termes de prises de vues, de cadrage et aussi dans la mise en scène. Le duo de Zarafa le prouve."

Chico & Rita : une production internationale

Réalisé par Fernando Trueba, Javier Mariscal et Tono Errando, Chico & Rita relate l'histoire d'amour entre un musicien de jazz cubain et sa muse, chanteuse, dans La Havane de la fin des années 1940 et aux États-Unis. La musique y occupe une place prépondérante et sert de socle au film, y compris dans sa mise en scène. "Le premier choix a été de s'appuyer sur des standards du jazz, mais Fernando Trueba estimait que cela n'aurait été qu'une compilation de plus, mise en images", raconte Tono Errando. "Nous avons donc pris le parti de demander à des musiciens de renom, comme Bebo Valdés, Idania Valdés, Jimmy Heath ou Michael Mossman, de composer des musiques originales dans le style de l'époque."


Le long métrage a été conçu en 2D, bien que de nombreux éléments 3D y aient été intégrés. Des milliers de clichés de La Havane ont été réalisés pour servir de références aux équipes de layout. En parallèle, les trois réalisateurs ont choisi de tourner dans un premier temps les séquences en prises de vues réelles, avec de vrais acteurs, recouverts de trackers pour capturer tous les mouvements de caméra. Les shootings ont ensuite été montés dans Final Cut Pro pour devenir la version live de l'animatique. "Nous n'avons jamais voulu faire de la rotoscopie, explique Tono Errando, bien que cela nous aurait grandement facilité le travail."


Deux images environ pour chaque seconde de prises de vues réelles ont été conçues dans TVPaint pour être ensuite intégrées dans cette animatique. Puis ces images ont été imprimées et intégrées au sein d'un pipeline de production 2D classique, avec une animation rough, des clés d'animation, une phase de cleaning d'encrage et de colorisation avant le compositing. Les prises de vues réelles ont également servi pour la création des arrière-plans, en 2D, 2D ½ ou 3D. Toute l'animation 2D et la colorisation ont été effectuées dans Toon Boom Harmony.


Parmi les nombreuses particularités de production, il convient de noter que sept studios ont été mis à contribution, avec au total plus de 200 artistes : Estudio Mariscal à Barcelone, Animagic Studios à Madrid, Lightstar Studios au Brésil, Magic Light Pictures sur l'Île de Man, HolyCow! Animation aux Philippines, Jet Media en Lettonie et Kecskemét Film en Hongrie. Pour parvenir à établir des passerelles à la fois fluides et sécurisées entre ces sept studios et ces 26 flux de travail, la production a choisi de s'appuyer sur la solution de suivi de production de HoBSoft. Après avoir déterminé une structure de fichier unique et porté le choix du logiciel sur Toon Boom Harmony, les équipes de HoBSoft ont mis en place un pipeline d'automatisation des tâches, géré au sein d'un seul et même environnement. Ainsi, chaque studio pouvait déposer le résultat de son travail au fur et à mesure des commandes, et les étapes de validation, opérées par les réalisateurs ou les chefs d'équipe, étaient visibles par tous. Le versioning est souvent source d'erreur, mais cet écueil était pallié par un historique des modifications de tous les assets. Ainsi, tous les studios étaient en mesure de déterminer sur quelle version travailler – la dernière en l'occurrence.


"La singularité du sujet, du mode de production, nous a obligés à trouver de nouvelles voies pour finaliser, en 18 mois, la fabrication de Chico & Rita sans y perdre en qualité", conclut Tono Errando.



Rédigé par Stéphane Malagnac, Prop’Ose, France
Contact : christellerony@citia.org
La synthèse des conférences Annecy 2011 est réalisée avec le soutien de :

 

dgcis  Ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi

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