Renouvellement de l'approche technico-artistique des professionnels ? Gestion et suivi en temps réel de la production avec ArtForge, rendu réaliste de foule avec Golaem Crowd, logiciel de prévisualisation, utilisation d'un moteur de rendu de jeu vidéo, autant d'outils innovants au service de la créativité et de la productivité dans l'animation.
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Cédric Guiard présente les quatre axes de réflexion qui vont sous-tendre les interventions de cette conférence : la convergence entre les films d'effets spéciaux et les films d'animation, couplée aux contenus linéaires ET interactifs, avec la disparition des segmentations d'un processus de fabrication, en conservant la maîtrise des coûts et des délais.
Face à la multiplication des assets d'une production d'une part, à la nécessité de partager les tâches entre studios répartis un peu partout dans le monde d'autre part, un outil de gestion de production devient un enjeu crucial pour éviter retards, erreurs ou dépassements de budget.
"Jusqu'à présent, les solutions qui s'offraient pour la gestion de production étaient un ERP, au coût souvent trop lourd à supporter, le logiciel Microsoft Project, très contraignant, ou le tableur MS Excel, dont le principal défaut tenait dans les problèmes de synchronisation", résume en préambule Laurent Alt, président d'HD3D. La société, basée à Paris, est une émanation du pôle de compétitivité Cap Digital.
De plus, les productions sont soumises à des enjeux de plus en plus lourds :
Face à ces enjeux, de nouvelles opportunités se font jour : l'avènement du tout numérique et une omniprésence des technologies Web.
Dans cet environnement, le consortium HD3D a développé des partenariats avec différents studios d'animation – 2 Minutes, Mac Guff Ligne, Mikros Image et TeamTO – afin non seulement de mutualiser les coûts, mais aussi de multiplier les retours d'expérience et d'établir une liste des besoins clés. "Il fallait voir comment chacun travaillait, selon quelle méthode, avec quels outils pour, ensuite, en établir la synthèse la plus optimale possible", complète Laurent Alt.
Le projet initié en 2006 par Jean-Noël Portugal a nécessité deux ans de développement plus une autre année de mise en phase pour un budget de développement de l'ordre de 2,5 M€. Son nom : ArtForge, avec une base de données MySQL.
ArtForge, disponible actuellement en version 1, est une suite logicielle sur le Web de gestion de production de contenus numériques. Elle est entièrement paramétrable en fonction des besoins des studios. Elle ne nécessite aucune installation car elle est accessible via un simple navigateur Internet, avec login et mot de passe.
Kirikou, les hommes et les femmes est le prochain long métrage de Michel Ocelot, réalisé au sein de Mac Guff Ligne. À ce titre, le studio a bénéficié de la toute dernière version, la 1.3, pour la gestion de cette production. "On m'a présenté l'outil en janvier 2011, rappelle Zoé Carrera, directrice de production sur le film ; et j'ai immédiatement été attirée. Jusqu'alors, je multipliais les fichiers Excel, jusqu'à créer des tableurs pour recenser les tableurs… Le fait que tout passe par le Web est idéal car, ainsi, toutes les données sont mises en commun instantanément. En outre, c'est consultable de n'importe où dans le monde."
Pour Zoé Carrera, "ArtForge est le reflet du quotidien d'un directeur de production. L'interface est claire et chaque onglet a le nom d'un des aspects d'une production. Il existe des templates permettant de monter rapidement le projet en fonction de vos besoins – long métrage ou série – avec une arborescence de gestion dans toutes les vues."
Chaque onglet est divisé en sous-onglets et un suivi des tâches est automatiquement mis à jour en fonction des validations.
ArtForge permet d'organiser toutes les tâches de production et conserve l'information du flux de production, et les commentaires associés. Le logiciel permet également de suivre les données de production en temps réel : statut des tâches, temps passé, jalons, commentaires, approbations, liens vers les versions des fichiers, etc. Sa flexibilité facilite la gestion des changements de plans et les répercute immédiatement à toute l'équipe de production. Outil collaboratif, ArtForge permet de traiter l'information de production à plusieurs niveaux : to-do lists, données transverses nécessaires au travail collaboratif, ou encore plannings et tableaux de bord de production. Facile à apprendre et à utiliser, ArtForge est un outil intuitif qui permet à chaque utilisateur de gérer efficacement son travail et de remonter des informations précises et à jour à l'ensemble de l'équipe de production. Il est commercialisé en France par Post Logic.
Créée par dix associés dont huit sont issus de l'équipe de recherche Bunraku de l'Irisa (Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires), la société Golaem, basée à Rennes, développe des solutions logicielles permettant de simuler l'être humain en situation d'activité complexe dans des maquettes numériques 3D. Stéphane Donikian, ancien de l'INRIA, en est le P.D.G.
Golaem a développé une gamme d'outils parmi lesquels :
Le dernier-né, Golaem Crowd, est un plugin pour Autodesk Maya dont l'objet est de fournir une alternative à Massive, solution créée à l'origine pour la production de la trilogie Le Seigneur des anneaux de Peter Jackson. "Concrètement, notre plugin offre la possibilité aux animateurs de gérer les comportements de foule sans aucune programmation", explique Stéphane Donikian. Golaem Crowd est un projet collaboratif en partenariat avec Mikros Image et soutenu par le fonds Riam Oséo.
Le principe se base sur la gestion de particules de Maya pour générer des comportements de foule : "On va associer tous les éléments d'un personnage à une particule et, ensuite, designer les comportements des populations, de particules, donc de personnages".
Sur une production donnée, Golaem Crowd va gérer l'ensemble des assets : bipède ou quadrupède ; mouvements (motion capture ou animation key frame) ; shaders, etc. "Il faut ensuite placer les populations dans un environnement, les faire se déplacer selon des profils donnés puis les exporter vers le moteur de rendu."
Parmi les fonctionnalités proposées pour le set up de la scène, on note :
Golaem Crowd offre également la possibilité d'ajouter des algorithmes d'évitement, ce qui ne nécessite donc pas de "forces de répulsion". On définit ensuite des "cibles" par particule pour générer, ou pas, des comportements de combat, en associant des opposants, ou des mouvements aléatoires.
Parlant des performances à l'export, Stéphane Donikian avance que "10 000 entités peuvent être exportées en une minute via Google Protobuf, une alternative à XML".
Golaem Crowd a été utilisé par Mikros Image pour le film-spectacle Alésia, le Rêve d'un roi nu réalisé par Christian et Gilles Boustani pour le "muséoparc" d'Alésia. Il a notamment servi pour les scènes en plan large de la fameuse bataille.
Disponible en version bêta depuis avril 2011, il a été commercialisé en mai et une version 2 est prévue en septembre, avec un éditeur de comportements intégré.
Côté tarification, Stéphane Donikian avance le prix de 9 999 € pour une licence perpétuelle ou un système de location/vente sur un ou plusieurs projets. "Nous avons une tarification adaptable aux besoins des studios", conclut-il.
Les prémices de la prévisualisation sont à rechercher du côté du… storyboard. "Les premiers à avoir perçu l'importance d'un storyboard aussi précis que possible, à l'image près, ont été Alfred Hitchcock et Saul Bass, sur les films Psychose ou Les Oiseaux", explique Chris Edwards, fondateur de The Third Floor, leader dans le domaine.
Les animatiques et les rip-o-matics (réutilisation de prises de vues existantes pour en constituer une autre) ont également été des éléments précurseurs de la prévisualisation. L'arrivée des caméras lipstick (ainsi nommées à cause de leur format, proche de celui d'un bâton de rouge à lèvres) a ouvert la voie à une mise en scène des éléments préparatoires au tournage. "En 1983, Stan Winston en a utilisé notamment sur la scène de poursuite dans Le Retour du Jedi, troisième volet de la saga originale de Star Wars. En prenant des mannequins d'une vingtaine de centimètres de haut, il a pu régler l'ensemble des cascades, des angles de caméra, bref il a donné corps à l'une des premières formes de prévisualisation." En 1986, les premiers essais de prévisualisation sur ordinateur en images vectorielles (vector graphics) – par opposition aux images numériques (computer graphics, CG) – sont effectués, mais il faudra attendre réellement 1999 et la course de pods de Star Wars: Épisode 1 – La Menace fantôme pour que, réellement, la prévisualisation numérique prenne toute son ampleur.
C'est à cette époque que Chris Edwards est engagé par George Lucas pour assurer la synergie entre le département artistique et une équipe de dix personnes en charge de "pré-visualiser" chacune des scènes nécessitant un gros apport d'éléments numériques. Six d'entre eux, dont Chris Edwards, quitteront Lucas Films pour créer The Third Floor.
Les bénéfices de la prévisualisation sont nombreux : "C'est d'abord un rapport gagnant/gagnant pour le metteur en scène et le producteur, car cela favorise la créativité et fait économiser pas mal d'argent. Cela aide également le réalisateur à conforter sa vision artistique… ou à la modifier."
Désormais parfaitement intégrée dans le pipeline de production des longs métrages à fort pourcentage d'effets visuels, la prévisualisation est également un document de travail pour... la postproduction, dans le sens où son haut degré d'élaboration en fait un outil précieux pour la création d'effets. "On s'en sert également comme une sorte de pilote ou, disons, de pitchviz, explique Chris Edwards, ou encore dans la publicité et les cinématiques de jeux vidéo."
Après avoir présenté l'historique de la prévisualisation et ses avantages, Chris Edwards détaille ensuite les différentes étapes constitutives. "On commence par la création d'assets 3D avant d'effectuer un blocking rapide au cours duquel on choisit les angles de caméra, leur positionnement, la variation entre intensité et émotion des plans et leur impact sur la scène, etc. L'avantage de cette étape de prévisualisation est que l'on peut jouer avec les options, décider laquelle est la meilleure et offrir une gamme de choix plus large au réalisateur."
Preuves à l'appui, Chris Edwards présente à l'écran différents angles de vue d'une scène clé d'Alice au pays des merveilles de Tim Burton : caméra subjective, vue plongeante, point de vue du dragon, etc.
"La troisième étape, poursuit le fondateur de The Third Floor, est une préviz animée que nous proposons grâce à des vestes Xsens MVN. Ces vêtements permettent l'acquisition des mouvements du corps humain en temps réel sans aucune caméra, ce qui ouvre la mocap aux tournages en extérieurs. Le résultat est bluffant ! Enfin, la prévisualisation peut être utilisée en postproduction pour le prototypage d'effets visuels."
Pour Chris Edwards, la notion de prévisualisation au sens de visualisation avant tournage n'aura plus cours dans les prochaines années. "Dans le film Avatar, la prévisualisation a été utilisée sur l'ensemble de la chaîne de fabrication, sans interruption. C'est ce que l'on appelle la production virtuelle."
En guise de conclusion, il précise que "la prévisualisation n'est pas conçue uniquement pour les blockbusters. N'importe quel film a besoin d'un tel outil, car cet investissement premier a pour conséquences de débrider la créativité et de réaliser des économies". Et d'évoquer le développement futur : la prévisualisation 3D stéréoscopique.
Frank Vitz, directeur technique des effets spéciaux au sein de l'éditeur de jeux vidéo Electronic Arts, explique que la convergence entre animation et jeu vidéo n'est plus une hypothèse mais bel et bien un état de fait. Si les cinématiques n'étaient à l'origine proposées aux joueurs que pour permettre au jeu de charger le niveau supérieur, celles-ci ont pris une place de plus en plus importante. Elles sont passées du statut de chevilles de gameplay à celui de supports et de compléments narratifs qui ont presque autant d'importance que le jeu lui-même.
Sur Fight Night Champion, dernier-né de la série de jeux de boxe développés par Electronic Arts, la production a choisi de s'appuyer sur 40 minutes de cinématiques, soit 74 scènes et 33 environnements différents, avec des mouvements de caméra cinématographiques et des éclairages afférents. L'option photoréaliste a nécessité une approche singulière. "Nous avons tourné avec de vrais acteurs toutes les scènes des cinématiques, avec un Canon EOS 5D Mark II", explique Frank Vitz. Particularité de ce tournage, les acteurs de la motion capture sont ceux qui servent de références pour le jeu, afin de garantir une meilleure intégration. "Nous avons également réalisé un scan à 180° du visage des acteurs pour ensuite pouvoir placer des maps réalistes sur les modèles 3D. Nous avons effectué un énorme travail sur les lumières qui rebondissent sur les peaux des boxers en sueur avec des spéculaires et une passe d'occlusion pour obtenir un résultat aussi photoréaliste que possible."
Pour Frank Vitz, Fight Night Champion est l'illustration parfaite de la convergence de l'animation et du jeu vidéo tant les modes de fabrication tendent à s'unifier.
Rédigé par Stéphane Malagnac, Prop’Ose, France
Contact : christellerony@citia.org
La synthèse des conférences Annecy 2011 est réalisée avec le soutien de :