L'industrie de la production de films en France s'appuie dans une très faible proportion sur des fonds propres, ce qui nécessite, de fait, de les financer en amont. Et cette difficulté est encore plus prégnante concernant les films d'animation. Les producteurs français estiment que les dispositifs en place, bien que positifs, pourraient être améliorés : montants attribués trop faibles, quasi impossibilité pour les producteurs d'accéder à l'aide aux programmes pour cause de critère discriminant, etc. En France, seules France 3 Cinéma et CANAL+ investissent, mais selon des cahiers des charges parfois drastiques. En Allemagne, le désintérêt des chaînes hertziennes pour l'animation est un frein évident à d'éventuelles coproductions. Autre frein, plus psychologique, le coproducteur étranger est souvent perçu comme un mal nécessaire ou, au mieux, un simple financier. Une bonne coproduction devrait se penser en amont, dès le développement.
Directeur général adjoint business affaires, directeur juridique
Pathé Production
France
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En France et en Europe, la dynamisation d'une économie de long métrage est certainement un enjeu stratégique : à la fois relais de croissance pour le secteur et opportunité de stimuler l'emploi et de développer des compétences. Pour l'heure, la situation ne permet guère d'activer ces opportunités.
L'industrie de la production de films en France s'appuie dans une très faible proportion sur des fonds propres, ce qui nécessite, de fait, de les financer en amont. Et cette difficulté est encore plus prégnante concernant les films d'animation. Fort de ce constat, comment peut-on, aujourd'hui, financer un nouveau projet ?
Valérie Schermann, productrice et fondatrice de Prima Linea Productions, introduit le sujet par une présentation du marché : "En 2010, 7 longs métrages d'animation ont engendré 4,26 millions d'entrées. Et ces films ont enregistré de belles performances à l'exportation, ce qui pourrait passer pour une bonne nouvelle. Or il n'en est rien et pour une raison très prosaïque : l'animation coûte cher (...)"
"(...) Entre 2001 et 2010, aucun film d'animation français n'a eu un devis inférieur à 3 M€. Au contraire, le devis médian se situe autour de 8 M€ (contre 3 M€ pour le médian d'un film en prises de vues réelles)." La productrice prend deux exemples : L'Arnacœur, film ambitieux au casting conséquent, disposait d'un budget de 8,7 M€ tandis qu'Ernest et Célestine, produit par Les Armateurs, était budgété à 9,2 M€. Et, selon Valérie Schermann, les difficultés commencent dès la phase de développement. Elle admet – et la salle tout autant – qu'"en moyenne, le CNC sert mieux le film d'animation que les autres genres et il en est de même avec les fonds MEDIA avec un plafond à 80 000 €". Cependant, "les dispositifs pourraient être améliorés" : montants attribués trop faibles, quasi impossibilité pour les producteurs d'accéder à l'aide aux programmes pour cause de critère discriminant (nécessité d'avoir produit au moins trois films dans les quatre années précédentes), crédit d'impôt qui impose un délai de 6 mois ("ce qui est bien évidemment trop court pour l'animation").
Pour la productrice de Zarafa et U, "en-deçà de 150 000 €, hors scénario, il est difficile de développer correctement un film d'animation".
La productrice s'attache ensuite à définir une liste de partenaires financiers qui, selon elle, sont essentiels à la faisabilité d'un long métrage d'animation. Au premier chef, le producteur, puis suivent le crédit d'impôt (plafonné à 1 M€), les chaînes hertziennes, les chaînes payantes, les aides sélectives (CNC, MEDIA, Eurimages), les aides locales (fonds de soutien régionaux et/ou départementaux), le minimum garanti distributeurs (salles, vidéos, ventes internationales).
Si ces différents financeurs sont clairement identifiés, certains sont moins présents que d'autres dans les sources de financement et, en premier lieu, les chaînes hertziennes. "Seule France 3 Cinéma finance aujourd'hui et il s'agit seulement – mais c'est toujours mieux que rien – de trois ou quatre films par an. Arte a annoncé qu'elle allait s'engager sur un long métrage par an à partir de l'année prochaine." Valérie Schermann fait entendre en creux l'absence complète des autres chaînes dans ce paysage, M6 exceptée mais elle ne "finance que ses licences".
A contrario, CANAL+ fait figure de soutien indéfectible avec, sur les 110 films préachetés chaque année, 6 films d'animation d'initiative française. "Heureusement qu'ils sont là !" assène la productrice.
Côté régions, les territoires les plus impliqués – souvent en corrélation avec un tissu économique important – sont le Poitou-Charentes (avec le département de la Charente), leader dans le financement du genre, le Rhône-Alpes et, "dans une moindre mesure", l'Île-de-France.
Valérie Schermann parvient donc à une conclusion sans appel : "sauf exception, les producteurs français parviennent difficilement à financer un film seuls, ce qui implique une coproduction étrangère". Mais, contrairement à ce que l'on pourrait penser, cette internationalisation du projet est souvent source de soustraction financière et non d'addition : "Engager une coproduction, ce n'est pas juste obtenir une ligne budgétaire supplémentaire. C'est éclater une fabrication et, par là même, investir du temps, du déplacement ou des outils de gestion des flux de travail. La conséquence est également un crédit d'impôt moindre, des financements régionaux plus faibles, un impact négatif sur le fonds de soutien du film et donc aussi, sur le financement du prochain."
Guillaume Galliot, producteur à Label Anim, apporte un éclairage complémentaire même si, précise-t-il en introduction, "il n'a pas l'expérience de Prima Linea, car nous ne démarrons le développement que de notre premier long métrage, intitulé Maman est en Amérique, elle a rencontré Buffalo Bill, qui sera réalisé par Thibaut Chatel et Marc Boreal.
Pour nous, dans ce que l'on pourrait appeler la chronologie des guichets, le premier d'entre eux est le distributeur salles. C'est ce qui fait qu'un objet filmique devient un véritable film de cinéma. En quelque sorte, c'est un adoubement." Valérie Schermann estime pour sa part que le distributeur n'est pas LA priorité. Guillaume Galliot poursuit en affirmant qu'il comprend bien la position selon laquelle une coproduction internationale peut devenir une nécessité, mais il estime que cela s'avère "plus long, plus cher et plus compliqué". Ce que ne peut qu'admettre la productrice de Prima Linea. Par contre, "on peut monter un film sans chaîne hertzienne ; c'est plus dur mais c'est possible. C'est d'ailleurs notre cas, tempère le producteur de Label Anim. C'est d'ailleurs plus intéressant : cela ouvre le champ des possibles, souvent restreint par la télévision qui intervient de façon trop prononcée à un stade trop prématuré."
Valérie Schermann s'insurge devant ces propos : "C'est couper la branche sur laquelle on est assis ! Nous l'avons fait sur le long métrage Peur(s) du noir, mais cela s'est avéré réellement une opération à haut risque qui a eu des conséquences sur notre santé financière."
Actuellement, dans le secteur du long métrage d'animation, on distingue deux types, corrélés au public visé. Par essence, le film d'animation est une œuvre jeunesse, destinée à la famille. Mais une distinction est effectuée entre film d'auteur et film de divertissement. "Et force est d'admettre, avance Sara Wikler, responsable des acquisitions cinéma français de CANAL+, que la question du segment influe sur notre financement. D'ailleurs, nous prééditorialisons nos préachats. Autrement dit, on n'achète pas pour une autre raison que le placement du film dans une case bien définie." Et de poursuivre cette déclaration vérité : "on se rend compte que le cinéma d'auteur jeunesse ne fonctionne pas dans nos grilles".
À titre d'exemples, Le Chat du rabbin de Johan Sfar, adapté de sa bande dessinée, a réalisé le faible score de 0,5 de part d'audience (PdA) sur la case "Vendredi Box-office" de CANAL+ FAMILY.
À l'inverse, Moi, moche et méchant, de Pierre Coffin et Chris Renaud, certes fabriqué en France mais produit par Universal, a obtenu une PdA de 3,8. "Nous sommes fiers d'investir dans ces deux films, mais force est d'admettre que l'un fonctionne mieux que l'autre. Si l'on ajoute à cela que la moyenne du prime time dans cette case, tous genres confondus, est de 1,7 PdA, on voit bien le fossé existant."
Actuellement, CANAL+ avance le chiffre de 16 films préachetés en cours, dont "les cinq premiers sont des longs métrages ; neuf sont les premiers longs métrages de leur réalisateur ; et au moins quatre n'ont pas de chaînes hertziennes". Parmi ceux-ci, on peut citer Astérix et le Domaine des dieux en 3D, Pourquoi j'ai (pas) mangé mon père, adapté du best-seller de Roy Lewis. Hormis ces deux films que la représentante de CANAL+ verse, de fait, dans la catégorie animation de divertissement, "nous n'avons préacheté que des films d'auteur : Kirikou 3, Ernest et Célestine, Aya de Yopougon, lui aussi adapté d'une bande dessinée, etc."
"Selon le film, son audience en salle et d'autres paramètres, nous plaçons les films d'animation dans des grilles et sur différentes déclinaisons de la Premium. Par exemple, Le Chat du rabbin a été diffusé dans la même case que Des hommes et des dieux ; Le Tableau de Jean-François Laguionie n'a finalement pas été diffusé sur CANAL+ FAMILY mais sur Cinéma."
Sara Wikler avance également une explication concernant le pourcentage plus faible d'investissement (par rapport à un film en prises de vues réelles) : "CANAL+ FAMILY représente seulement un quart de l'audience attendue sur Premium, ce qui explique que l'on soit à 10 % du devis en animation… contre 18 à 20 % dans la prise de vues réelles."
Elle avance également que, quoi qu'on en dise, avec "cinq à six films par an, c'est un haut taux d'investissement par rapport au nombre de films d'animation présentés : de huit à neuf "seulement" !"
Mais alors, pointe la salle, quels sont les critères de financement pour un guichet comme CANAL+ ? "Il faut qu'il y ait indéniablement un vecteur d'entertainment ou un soutien à la création avéré dans le cas d'un film d'auteur, ou qu'il s'agisse d'une émanation de séries télévisées pour des raisons d'image de marque." Au final, CANAL+ investit entre 600 000 € et 1 M€ par an. Et Sara Wikler de préciser que "le succès d'un long métrage en salle ne modifie pas le placement dans une case spécifique de nos grilles". Le choix est réellement déterminé en amont.
Après avoir ironisé sur sa position sur le panel, liée à son arrivée tardive – "voici bien la vision d'un coproducteur : arrivé en dernier, un peu boiteux et toujours en dehors de la table" –, le producteur Stephan Roelants de Studio 352 a donné son point de vue sur la coproduction, pour lui un passage obligé mais qu'il faut bien négocier.
"La coproduction est devenue inévitable. D'un point de vue étranger, il faut l'aborder dans un certain état d'esprit. Sur Ernest et Célestine, nous sommes réellement partis de ce que devait être ce film, puis nous sommes remontés jusqu'au montant nécessaire pour faire le film que nous souhaitions avoir au final. Ensuite, nous nous sommes engagés dans la recherche de financements. Faire l'inverse est presque immanquablement source d'erreurs et, au final, c'est le film qui en pâtit." Et de mettre en avant un message fort : "un coproducteur n'est pas qu'un bouche-trou. Intégrez-le dès le départ dans le projet et il sera bien plus qu'un simple financeur".
C'est par un constat alarmant que Gabriele Röthemeyer, PDG de Medien- und Filmgesellschaft Baden-Württemberg, Filmförderung, évoque la situation en Allemagne : "Les chaînes de télévision se sont toutes retirées du long métrage d'animation. Plus globalement, peu de films se réalisent actuellement, sur le territoire, sauf dans des cas de figure bien précis comme des licences de jeux vidéo ou des produits parfaitement identifiés avec une forte adhésion du public/consommateur. De fait, cela limite les coproductions."
Et lorsqu'elle évoque les fonds régionaux allemands, réputés pour leurs budgets et par conséquent, leurs subventions importantes, le verdict est clair et formulé à regret : "ce sont d'abord nos talents et nos producteurs que nous soutenons. Naturellement, nous demeurons très ouverts aux coproductions, mais le marché est quelque peu faussé à cause de la politique des distributeurs qui préfèrent largement investir sur des films nord-américains plutôt qu'européens… et même allemands."
Cette prépondérance de films américains dans les circuits européens (comme en Italie) a souvent pour conséquences un étouffement de la production nationale et, par conséquent, une quasi-absence de coproductions internationales.
Stephan Roelants précise sa position et ajoute qu'il est important que "les partenaires accroissent leurs capacités respectives. Il nous faut une communication avec les coproducteurs le plus en amont du projet ; et surtout, il ne faut pas voir notre relation comme une contrainte, même si j'ai bien entendu le point de vue de Prima Linea. C'est, je crois, une opportunité plus qu'autre chose." Stephan Roelants invite enfin les producteurs européens à considérer que la domination commerciale du cinéma d'animation des majors américaines constitue une invitation à promouvoir une cinématographie différente, qui trouvera son public.
Le CNC représente un interlocuteur de poids dans le financement d'une œuvre. Selon Valérie Lépine-Karnik, directrice adjointe du cinéma au CNC, le montant moyen de l'aide relative à l'avance sur recettes est de 460 000 €.
"Sur un film comme Le Jour des corneilles, produit par Finalement, qui sort en salle en octobre prochain, l'enveloppe a atteint 600 000 €."
À ceux qui reprochent au CNC d'être un "guichet plus difficile pour les films d'animation", la représentante du Centre répond par quelques chiffres : 663 projets soumis dont 15, seulement, en animation et, au final, 57 aides. "À ceux qui trouvent ce pourcentage faible, comme Prima Linea ou CANAL+, j'ai envie de préciser qu'il existe d'autres guichets dont ils peuvent se rapprocher ; de la préparation au développement et au scénario, ces guichets sont ouverts avec des taux de sélectivité plutôt bons."
Pour elle, le crédit d'impôt est une aide financière importante que 10 films agréés ont obtenu en 2011, dont cinq films d'initiative française.
Il existe cependant un dispositif spécifique, la "passerelle cinéma". Les producteurs disposant d'un compte de soutien aux programmes audiovisuels peuvent, sous certaines conditions, l'investir pour développer un long métrage cinématographique d'animation. Cette exception au principe de séparation des comptes de soutien cinéma et audiovisuel a été mise en place pour aider les producteurs de programmes audiovisuels à financer le développement de longs métrages d'animation alors qu'ils n'ont pas encore de soutien automatique cinéma et qu'ils disposent d'un compte audiovisuel généré par les programmes qu'ils ont déjà produits.
En 2011, cette aide concerne un seul projet, soutenu à hauteur de 400 000 €, justement celui de Label Anim, Ma maman est en Amérique… La représentante du CNC conclut : "Nous travaillons actuellement à accroître cette enveloppe de 400 000 à 500 000 € et nous tablons sur une mise en place dans les mois qui viennent."
Rédigé par Stéphane Malagnac, Prop'Ose, France
Conférences organisées par CITIA
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