Entre stylisation à outrance et souci de réalisme, les représentants des plus grands studios de VFX (Double Negative, The Moving Picture Company, Framestore, BUF Compagnie) mettent en lumière la porosité des frontières entre VFX et animation. Qu'il s'agisse d'un court métrage à part entière au cœur de la saga Harry Potter ou de l'intégration de créatures fantasmagoriques ou extraterrestres dans des environnements réels, le travail des artistes tend à fusionner dans une communauté de vues autant que de techniques.
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Jamais VFX et animation n'auront été aussi proches : communauté technologique, artistique voire économique. Difficile, aujourd'hui, de dire si le Tintin de Spielberg est un long métrage d'animation ou un film en vues réelles incluant des VFX. Idem pour Avatar. Les frontières sont de plus en plus floues et les artistes de plus en plus ouverts.
Gregory Fisher, responsable de l'animation au sein du studio londonien de The Moving Picture Company (MPC), présente les différentes étapes constitutives des séquences phares du long métrage La Colère des Titans de Jonathan Liebesman, sorti en mars 2012. "Notre travail principal au sein de MPC a consisté à créer et animer les créatures mythiques du film ainsi que le remplacement des personnages qui en sont les victimes", ce qui représente environ 280 plans. Avant de développer cet aspect de la production, le responsable de l'animation offre quelques chiffres intéressants sur l'envers de la production. En effet, sur les 280 plans prévus par la production, seuls 150 ont finalement été menés jusqu'à leur terme ; 87 ont démarré mais ont finalement été abandonnés et 32 sont allés jusqu'au stade de l'animation… avant d'être, à leur tour, écartés du montage final.
L'équipe de MPC sur ce film comptait 190 personnes, dont 18 pour le département animation, 10 pour l'asset management, 8 pour les environnements, 15 pour le lighting, 18 pour les effets visuels, 19 pour le matchmove et la rotoscopie (basés en Inde) et 32 pour le compositing.
La première créature présentée par Gregory Fisher est la fameuse Chimère, animal mythique qui dispose d'une tête de lion, d'un corps de chèvre et d'une tête de serpent en lieu et place de queue (selon Homère). "Les premiers travaux de conception ont démarré durant l'été 2010 et il y a eu de nombreuses discussions concernant les deux têtes de la bête : certains tablaient sur une superposition, d'autres sur une mise en parallèle. En s'appuyant sur le script, nous avons pu mettre en lumière les enjeux techniques et artistiques et, finalement, prendre la seconde option… ce qui a eu des impacts sur l'anatomie finale." La chimère du film compte également une paire d'ailes. La question de la nature des ailes (dragon, chauve-souris) a aussi donné lieu à discussions, tout comme sa capacité à voler, qui aurait pu avoir un impact conséquent sur le squelette. Autre pierre d'achoppement : les textures des ailes. Avec ou sans poils, si oui lesquels, et de quelle longueur ? Ainsi que le résume Fisher, "pour chaque partie du corps, nous avons amassé une somme phénoménale de références et chaque point a été débattu". Tant et si bien que le concept final a été arrêté… chez Framestore.
Une fois le concept validé, MPC a débuté le rigging (du squelette et de la musculature de base) sous un logiciel propriétaire offrant un fort niveau de contrôle sur les parties dites molles et flexibles, très utile dans le cas de cette créature.
Le feu que projette la Chimère a également été l'objet de toutes les attentions ; c'est finalement la conjonction des deux têtes – l'une crachant le liquide inflammable et l'autre effectuant la mise à feu – qui sera choisie, avec une densité de flammes éprouvée via des références de lance-flammes. Pour la préproduction de l'animation, MPC s'est appuyée sur de nombreux stockshots de courses de lions lorsqu'ils attaquent leurs proies : rapides mais brouillonnes, donnant lieu à des dérapages incontrôlés. Des tests de posture ont également été effectués "qui donnaient non seulement des indications de mise en scène au réalisateur, mais aussi une aide aux animateurs". Pour la séquence d'attaque du village au cours de laquelle le héros, Persée, parvient à vaincre la Chimère, les équipes ont d'abord tourné en live puis l'équipe du layout a intégré un modèle basse définition de la Chimère, avec parfois l'acteur Sam Worthington, également modélisé en basse définition, pour les plans où les deux interagissent. Dans la séquence finale, où Persée étrangle la Chimère avec une lourde chaîne, l'équipe de tournage a dans un premier temps réalisé un shoot du personnage avec un props en fond vert, puis les animateurs ont créé une version animée de ce dernier pour pouvoir lui adjoindre une chaîne CG animée qui est lancée autour du cou de la créature pour l'étrangler.
Dans la seconde séquence, Gregory Fisher présente le travail réalisé sur les Makhais, des démons étranges avec deux jambes mais deux torses, deux têtes et six bras. La réflexion menée sur le squelette du démon a été longue : "il fallait absolument que la créature puisse bouger librement, sans que les contraintes d'un squelette normal puissent intervenir. Nous sommes donc partis d'un squelette aux articulations "brisées" dans le sens où aucune limite n'était imposée."
MPC n'a reculé devant rien pour obtenir des références de peau : véritables lésions dans les hôpitaux et, plus prosaïquement, méchoui pour l'équipe et photos des brûlures. Pour l'animation de la peau, le studio s'est appuyé sur un système de blendshapes où la peau est dirigée par la musculature. Certains se sont même filmés dans des cadrages similaires à la prise de vues pour mieux appréhender l'animation, les déterminations physiques du démon…
Dès 2004, Alain Chabat souhaitait adapter le personnage du Marsupilami, héros de la BD de Franquin aux côtés de Spirou et Fantasio, pour le cinéma. Et en 2008, quelques essais avaient été tentés avec Jamel Debbouze qui devait "incarner" l'animal, au sein du studio BUF Compagnie, partenaire historique du metteur en scène sur ses productions publicitaires notamment. Finalement, le démarrage effectif du projet a eu lieu en 2010… sans pour autant qu'ait été défini "quel" Marsupilami apparaîtrait à l'écran. "Alain Chabat est quelqu'un de très précis dans son travail, explique Olivier Cauwet, superviseur VFX chez BUF, mais c'est aussi quelqu'un de très ouvert et qui attendait de nous des propositions." Beaucoup de roughs sont donc demandés à des artistes comme Hervé Barbereau, Fabien Ouvrard ou encore Nathanaël Bronn ; "avant tout, il a fallu valider les proportions, sachant que lorsque le tournage a débuté, nous n'avions pas de design prédéfini". Une fois le design 2D prévalidé, les équipes de BUF sont passées à la 3D pour constituer le squelette et le set up, avec des évolutions possibles ensuite. Comme bon nombre de studios, BUF s'appuie sur des outils propriétaires ? dans ce cas, aussi bien pour les shaders que la génération de poils.
Afin d'anticiper les interactions entre le Marsupilami et les acteurs ou les environnements voire les deux, plusieurs systèmes ont été utilisés : un ensemble de cordes autour des acteurs quand la queue de l'animal les encercle, des boules grises pour capter la lumière principale, son intensité, et des boules chromées pour obtenir l'environnement du point de vue de la caméra. Tout cela filmé sur le trajet supposé du Marsupilami.
Pour l'animation, le metteur en scène a tenu à respecter le travail de Franquin : "il ne s'agissait pas de faire du cartoon, rappelle Bastien Laurent, en charge de l'animation, mais de retrouver dans les plans, les poses, les expressions et, plus généralement, les images que tout le monde connaissait dans la bande dessinée". Pour l'étape suivante, l'équipe d'animateurs a filmé des gibbons et autres makis avant de se lancer dans l'animation proprement dite des plans.
"D'ailleurs, à titre de guide, Alain s'est adjoint les talents de Pierre-Alain Block, dit Piano, qui exerce comme graphiste au sein de la société Chez Wam. Sur chaque plan, il plaquait une animatique 2D très simple mais qui, associée aux indications du réalisateur et aux images posées issues de la BD, donnait une véritable idée du but à atteindre." À l'inverse, plusieurs séquences ont été entièrement ouvertes aux propositions des animateurs : "dans ce cas, nous avions la possibilité de fournir quatre ou cinq versions d'un plan et c'est Alain Chabat qui choisissait celle qui lui convenait le mieux, sans idée préconçue. Ce qui s'est parfois avéré complexe."
La question de l'animation de la queue du Marsupilami s'est avérée également complexe à régler : "c'est un personnage à part entière, rappelle Bastien Laurent ; soit elle suit le mouvement du Marsupilami, en répondant à des contraintes physiques, soit elle a sa vie propre. Pour beaucoup de plans, nous faisions donc des maquettes 2D, puis nous effectuions une rotoscopie de celles-ci, lorsqu'elles étaient validées."
En tout, 265 plans auront nécessité l'intervention de BUF, dont 225 d'animation 3D, ce qui représente 14 minutes de temps de présence à l'écran. 60 graphistes dont 20 animateurs ont travaillé sur le film pendant 8 mois.
Dans le dernier volet de la saga Harry Potter, Les Reliques de la Mort, le personnage d'Hermione Granger relate l'histoire fondatrice de la saga, dite des trois frères Peverell (Antioche, Cadmus, Ignotus) dans leur confrontation avec la Mort. Bien que partie intégrante du long métrage, ce conte a été réalisé en animation et confié aux bons soins des équipes du studio londonien de Framestore. Étrangement, ce n'est pas au département long métrage qu'échut le projet mais à celui de la publicité, "car il disposait d'un pipeline de production plus flexible, à la différence de celui des VFX pour le film", explique en préambule Dale Newton, animateur en chef au sein du studio.
Comme à chaque fois pour de tels projets, la première étape a consisté à trouver des références pour définir les concepts de ce court métrage à part entière : "Avec Ben Hibon, le réalisateur de ce conte, nous avons orienté nos recherches sur le théâtre d'ombres, à la fois très épurées et très sophistiquées." Parmi les autres sources d'inspiration sont également cités Lotte Reiniger, animatrice allemande de renom, Arthur Rackham, artiste et illustrateur britannique de la fin du XIXe siècle, ou encore Edmund Dulac, d'origine française, contemporain de Rackham et grand connaisseur de l'estampe japonaise ainsi que de la miniature persane.
En parallèle, Framestore réalise des tests de shadowing avec une passe d'occlusion ambiante pour créer le personnage de la Mort, entouré de voiles et de brume.
Pour les trois frères, décision est prise de s'éloigner de l'image plus traditionnelle de la Mort "pour tendre vers une plus grande simplification dans leur design".
Dale Newton évoque aussi la technique utilisée sur les environnements, dite du paper fog, soit une texture de vélin légèrement passé au café et qui donne une atmosphère de brouillard aux matières. C'est Alexis Liddell, un ancien élève de Gobelins, l'école de l'image (France), qui s'est chargé de réaliser les designs des environnements : le pont, la taverne ou encore la chambre qui apparaissent dans la séquence.
On l'a dit, les trois frères devaient avoir une silhouette épurée et, durant la phase de modélisation, "nous avons beaucoup joué sur les transparences, notamment des vêtements qu'ils portent et qui révèlent des corps quasi géométriques", poursuit Dale Newton. Le logiciel Maya a été utilisé pour la modélisation, ZBrush et Photoshop ayant pour leur part servi à la création des shaders.
L'animation s'est révélée également complexe à mettre en place, "la première version étant trop explicite ; nous voulions quelque chose de fluide mais dans un contexte onirique, de conte. En outre, le réalisateur ne souhaitait pas qu'il y ait de plan de coupe mais un plan continu de 2 min 30 s", ce qui s'est avéré ardu, notamment dans la mise en place des caméras."
La technique du paper fog a pris toute son ampleur lors de la phase de lighting ; grâce au logiciel Nuke, l'équipe de Framestore a pu donner de l'intensité à l'atmosphère, comme un livre d'images très texturé (renforcé par ce côté vélin) qui prendrait vie. "Le compositing a été une étape longue mais nous avons eu pas mal de temps, ce qui nous a permis de bien le travailler. Par exemple sur le voile qui entoure la Mort, nous avons réalisé pas mal de passes de cloth, car ce tissu semble avoir une vie propre, avec une animation proche de celle d'un voile léger qui bougerait dans un liquide. Finalement, c'est au compositing que nous avons pu réellement trouver le rendu final qui convenait à tous."
John Carter of Mars est l'adaptation d'une série de romans de science-fiction, le cycle de Barsoom, écrits par Edgar Rice Burroughs (par ailleurs "papa" de Tarzan) au début du XXe siècle. Produit par Disney et réalisé par Andrew Stanton (Toy Story, Wall-E de Pixar), il relate les aventures d'un ancien officier confédéré, téléporté sur Mars (Barsoom dans le livre) et qui se retrouve au cœur d'une guerre civile.
Pour ce long métrage, pas moins de quatre studios ont été mis à contribution pour réaliser les 850 plans truqués de cette histoire qui avait plusieurs fois fait l'objet d'une tentative adaptation par Ray Harryhausen, John McTiernan ou encore Jon Favreau. Parmi eux, Double Negative a mis 150 artistes à contribution sur le site de Singapour et près d'un millier au siège principal de Soho.
Double Negative s'est attachée à designer, modéliser et animer les étranges créatures qui peuplent Barsoom et, en premier lieu, les Thoats, sorte de bêtes de somme et de montures que l'on croise à plusieurs reprises. "À l'origine, nous sommes partis des chameaux dont nous pensions qu'ils représenteraient assez bien la lenteur, l'apathie apparente… et une certaine vivacité dans les courses, si nécessaire", rappelle Eamonn Butler, chef animateur au sein du studio. Des essais de motion capture ont été effectués mais devant la complexité de la tâche, il a finalement été décidé de faire jouer sur le plateau les acteurs montés sur des mini 4x4 avec un rig, puis de modéliser et animer les créatures plus simplement en keyframe.
Autre créature emblématique du film, le Woola est une sorte d'animal de compagnie – et le fidèle ami de l'homme John Carter. Seules différences : le Woola a une gueule béante, compte six pattes et se déplace à une vitesse incroyable. "La première difficulté résidait justement dans ces pattes surnuméraires car elles avaient forcément un impact sur le squelette d'une part, ses déplacements d'autre part. Nous avions également envisagé des cycles de course pour mieux appréhender les déplacements qui devaient être rapides mais, en même temps, visibles à l'écran. Au final, puisque ces courses folles sont, de fait, présentes dans une séquence de nuit, nous nous sommes rabattus sur un train de poussière qui figurerait sans mal la notion de vitesse de déplacement." Comme il s'avérait difficile de mettre en parallèle des références de canidé et le résultat final auquel tendait le réalisateur, Eamonn Butler a choisi de caster… des animateurs : "nous les avons fait tourner tour à tour devant une caméra et chacun devait nous montrer comment il envisageait d'animer le personnage". Affublés d'une tête en carton figurant celle du Woola, chacun des animateurs est donc passé en mode casting pour déterminer sinon le meilleur d'entre eux, du moins celui le plus à même d'"incarner" la créature ! Enfin, la langue – aux dimensions proportionnelles à la grandeur de la gueule – a fait l'objet d'une simulation procédurale avec les dynamiques associées pour une animation intégrant les notions de poids, d'inertie… sans oublier le côté flasque.
Mais les personnages centraux de cet étrange monde sont, de loin, les Tharks, géants verts à quatre bras et deux défenses faciales que rencontre John Carter. Au-delà de la seule création de ces aliens, le principal challenge consistait à les intégrer dans un environnement éclairé naturellement : en effet, la plus grande partie du tournage s'est déroulée dans le désert de l'Utah avec, pour unique source de lumière, un soleil blanc qui avait tendance à écraser les détails.
Sur le rigging, Double Negative a donc débuté le travail par un squelette intégrant les quatre bras, et les contraintes d'articulations afférentes, avant de se concentrer sur la musculature et son impact sur les déplacements de la peau. "Dans un premier temps, nous avons placé bon nombre de tendons pour pouvoir jouer avec les paramètres de tension, relâchement, etc. Mais nous avions également mis en place une version colorée de cet ensemble musculaire pour mieux nous rendre compte des mouvements de chacun d'entre eux et, le cas échéant, jouer sur tel ou tel et soit nous approcher encore plus du réalisme, soit surjouer la puissance musculaire pour des raisons de mise en scène."
Après le squelette, Double Negative s'est attaquée à la question de l'animation des visages, avec comme principale pierre d'achoppement, ces fameuses défenses de part et d'autre de la bouche des Tharks. "Et puis l'idée est venue tout simplement, raconte Eamonn Butler : nous allions placer les caméras de capture faciale aux mêmes endroits que les défenses, selon un angle de 30°. Ainsi, non seulement nous avions une capture au plus près du visage des acteurs mais, en plus, ceux-ci pouvaient jouer avec ces défenses/caméras pour, par exemple, jeter un regard mauvais au-dessus de celles-ci. Du coup, les caméras sont devenues parties intégrantes de la capture." À cette capture faciale, Double Negative a ajouté un scan complet du visage pour obtenir des mouvements précis à appliquer sur un mesh.
Par souci de réalisme, Andrew Stanton a demandé aux acteurs – dont Willem Dafoe – de jouer également les personnages en performance capture, afin d'ajouter au jeu d'expressions faciales le jeu corporel d'acteurs déjà très physiques. Affublés d'échasses et d'une combinaison grise, l'équipe de tournage a enregistré la capture optique et ce sont les animateurs qui, ensuite, ont joué les scènes, en se basant sur les déplacements de chacun. Au final, les Tharks, qu'ils soient en intérieur ou dans les séquences extérieures, sont parfaitement intégrés aux décors, tout en préservant le jeu d'acteurs.
Rédigé par Stéphane Malagnac, Prop'Ose, France
Conférences organisées par CITIA
sous la responsabilité éditoriale de René Broca et Christian Jacquemart
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