Optimiser le ratio qualité/productivité est le défi majeur auquel sont confrontés les studios. Blue Spirit Productions, pour la saison 2 de la série Les Mystérieuses Cités d'or, a développé des outils spécifiques de collecte et référencement de librairies d'objets ainsi qu'un système de gestion des médias et de suivi interne de fabrication. Cube Creative, pour la saison 2 de Kaeloo, a choisi de faire porter la rationalisation sur la gestion de production et la phase de rendu/compositing totalement automatisée. Digital Graphics, qui a effectué le rendu aquarellé d'Ernest et Célestine, a développé SoftAnim, un logiciel qui automatise la mise en couleur.
Serge Umé crée Digital Graphics en 1994 avec son frère. À leur actif : plus de 60 productions, dont Mr Nobody, Les Émotifs anonymes, The Secret of Kells, Ernest et Célestine, Death of a Shadow (nommé aux Oscar 2013). En production : Loulou, l'incroyable secret produit par Prima Linea et The Song of the Sea, de Tomm Moore.
Productrice chez Blue Spirit Productions depuis 2005, Armelle Glorennec a commencé par la direction de production de films d’animation chez JPL Films. Grâce aux studios intégrés (Angoulême, Bruxelles), elle continue d’être impliquée dans la fabrication.
Éric Jacquot est président de Blue Spirit Productions, qu'il a fondé en 2004. Il y développe la production et la prestation de programmes d’animation. De 1990 à 2004, il dirigeait TEVA et Toon Factory, sociétés de postproduction et de prestation d’animation.
Pierrot Jacquet a rejoint Cube Creative Productions en 2002 sur la gestion de pubs, formats spéciaux puis sur la série Kaeloo. Il y supervise aujourd'hui la plupart des productions.
Alexandre Bretheau a rejoint Cube Creative en 2007. Il a occupé un poste de superviseur du setup et de l'animation, puis celui de superviseur général sur la plupart des productions.
Consultant indépendant, René Broca assure depuis 2005 la conception éditoriale du cycle de conférences professionnelles d'Annecy. Il est également coresponsable du contenu éditorial du Forum Blanc.
René Broca est consultant indépendant dans les secteurs de l'animation et de l'imagerie numérique. Son activité se partage entre la conception et l'organisation de conférences et d'événements professionnels et la rédaction d'études sectorielles. Il est également délégué général du réseau des écoles françaises de cinéma d'animation (Reca).
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L'objectif de cette conférence, indique René Broca, est de mettre en lumière les moyens pour parvenir à être concurrentiels sachant qu'en France et en Europe, il est difficile de lutter contre les coûts de main-d'œuvre asiatique d'une part, les budgets nord-américains d'autre part. "La question de la productivité s'avère donc cruciale", et elle est traitée chaque année, sous différents avatars, aux conférences d'Annecy. Elle prend sans doute cette année un relief particulier, ajoute René Broca, avec la double menace que Bruxelles fait peser : celle d'introduire la culture dans les négociations sur le traité de libre-échange USA/UE ; celle de "déterritorialiser" les aides nationales, ce qui les viderait de leur substance et constituerait une menace directe sur l'emploi.
Les Mystérieuses Cités d'or est une série mythique des années 1980 en France. Le studio Blue Spirit – situé à Paris, Angoulême et Bruxelles – a été choisi pour la production de la saison 2 (26 x 23'). "La première contrainte à laquelle nous avons dû faire face est la nécessité d'assurer la continuité graphique de la série", rappelle Armelle Glorennec. "Pour cela, dès 2009, nous avons d'abord testé l'élasticité du cadre de l'adaptation. Nous avons exploré des pistes très 3D, avec beaucoup de textures avant de revenir à la veine d'origine en 2D" ? une décision longuement pesée, le studio étant plutôt spécialisé dans les productions 3D. Le choix d'une animation en 3D avec un rendu 2D a finalement permis de conserver l'esprit de la série sans pour autant bouleverser un pipeline de production parfaitement éprouvé.
Éric Jacquot ajoute : "Nous avons également effectué des tests sur Flash, mais cela ne s'est pas non plus avéré compétitif ; le résultat est donc un mélange de décors 2D et d'animation 3D – les premiers n'étant pas produits en France pour des raisons de coût. Le partage de la production s'est fait entre la France (à 80 %) et la Belgique ; seuls le layout noir & blanc ainsi que la couleur ont été sous-traités en Asie." Le budget de la production oscille entre 7 et 7,4 M€ pour une équipe maximum de 100 personnes pendant 28 mois de production.
Dans la saison 2, on suit les aventures des trois héros dans plusieurs territoires d'Asie, "ce qui entraînait de fait la création de nombreux décors différents", explique Armelle Glorennec. "Nous avons essayé de rationaliser la série avec des zones communes sur 3 à 4 épisodes avant d'identifier 500 lieux dans 9 régions différentes."
Toujours dans une perspective de rationalisation, Blue Spirit a travaillé sur un système de gabarits pour les personnages : on en compte 13 pour un total de 313 personnages. "L'idée était de partir de recherches graphiques : l'équipe a réalisé des pochades noir & blanc qui étaient ensuite passées au trait. On intègre la 3D très en amont et on s'en sert pour les décors (même si ceux-ci seront ensuite réalisés en 2D sur Photoshop). Cette modélisation sommaire nous sert ensuite pour la phase de clean noir & blanc et s'avère également être une aide pour les décorateurs." Autre élément d'optimisation : l'étape de mise en couleur a été basculée après le layout 3D.
Pour les personnages, 13 gabarits (dont plus de la moitié sont des clones) ont tout d'abord été créés avec l'objectif de pouvoir les décliner ensuite et gagner en temps de fabrication. "En règle générale, on met 15 jours pour modéliser un personnage et le faire fonctionner au trait", explique Éric Jacquot. "Ici, par exemple pour le personnage d'Esteban et sa dizaine de déclinaisons, nous avons pris seulement 3 jours – l'économie est donc immédiate. Autre exemple, Mendoza – le protecteur des enfants – a nécessité 50 jours de modélisation, notamment en raison de problèmes d'animation de sa cape. Mais ses déclinaisons ont pu être réalisées entre 0,5 et 9 jours selon la présence ou non de tissus à créer. Globalement, nous avons tenté de ne pas dépasser les 3 jours pour créer une déclinaison de nos gabarits."
Blue Spirit a également développé en interne des outils pour optimiser le flux de travail. Photomaton sert ainsi à photographier les quelque 700 objets présents dans la série sous toutes leurs coutures avant de les stocker – après validation par le réalisateur – dans le système de gestion baptisé Simone (en clin d'œil au long métrage d'Andrew Niccol). "Simone a été mis en place il y a 4 ans environ, précise Éric Jacquot, et continue d'évoluer au rythme des productions ; il propose un suivi interne de fabrication tout en assurant la gestion des médias mais également d'éléments plus économiques comme les salaires."
Le layout 3D est réalisé avec Max for Storyboard associé à ToonBoom. Max for Storyboard est une brique logicielle développée en interne qui garantit la conformité du plan, son échelle lorsqu'il passe ensuite en storyboard. Concrètement, "on réalise un pré-layout 3D pour poser les différents éléments de la scène avant un shoot 3D ; le layout 2D est ensuite apposé sur le premier et lorsque la conformité est validée, on intègre les objets 3D dans la scène 2D".
Blue Spirit a également développé, pour la phase d'animation, une interface proposant un panneau situé à gauche de l'écran de travail avec "les grands ensembles du corps – tête, bras, jambes, torse – ainsi qu'un second panneau dédié aux expressions faciales, avec une fenêtre uniquement centrée sur la partie lipsync. Toute modification peut se faire de façon symétrique ou indépendante selon les besoins."
Un module dit USAGA a aussi été créé en interne pour la partie rendu/compositing pour "effectuer les différents types de rendu de façon séparée".
Avec ces nombreuses innovations, avez-vous pu optimiser le flux de production ?
Ce fut la bonne surprise de la production : nos animateurs ont pu réaliser entre 8 et 9 secondes d'animation par jour. Mais on a enregistré des retards sur d'autres indicateurs. Cette production a été, en quelque sorte, optimisée en direct. Nous avons beaucoup appris et la saison 3 devrait nous permettre d'être encore plus compétitifs.
L'idée de pré-modéliser les décors en 3D a-t-elle été suivie par l'ensemble des storyboarders ?
Certains l'ont parfaitement comprise et intégrée dans leur démarche, d'autres pas. De toute façon, nous n'avons pas effectué cette étape pour l'ensemble des décors.
Cube Creative est un studio de fabrication et de production de films publicitaires, films en relief et séries TV situé à Paris. Kaeloo est sa première série télévisée.
"De fait, le milieu de la série était quelque chose de nouveau pour nous", admet Pierrot Jacquet en préambule. "Nous avions produit la saison 1 de Kaeloo avec Blue Spirit Productions et nous avons souhaité internaliser la saison 2 pour plusieurs raisons dont la première était d'entamer la construction d'un pipeline de production structuré pour envisager de lancer le studio sur des projets de long métrage." A contrario, l'abandon du partenariat avec Blue Spirit a eu comme conséquence la perte des aides régionales (région Poitou-Charentes) ainsi que l'impossibilité de réutiliser les assets créés sur la saison 1 ; "avec la modification du pipeline, ils devenaient difficiles à réemployer".
Pour contrebalancer ces pertes à la fois économiques et techniques, le studio a donc commencé par déterminer les postes sur lesquels des optimisations de coût étaient possibles : la gestion de production d'une part, la phase de rendu/compositing d'autre part via une stratégie d'automatisation et de simplification.
Le studio a mis sur pied TUBE, un outil de sauvegarde automatique et de gestion qui se présente sous la forme d'une interface web conçue avec MySQL. TUBE est "pluggé" sur les outils de production du studio : 3dsMax, Maya, Nuke, Vegas, TBDL et Photoshop.
"TUBE, explique Alexandre Bretheau, part de la logique que chaque asset a des tasks qui sont paramétrés en amont via une gestion de droit des utilisateurs. Le système permet, pour chacun des 1 700 assets de la saison 2, d'assurer un suivi par épisode ainsi qu'un suivi par utilisateur afin de connaître son planning de travail."
La connexion avec les logiciels de type 3dsMax s'effectue via un asset manager présent dans l'interface qui le relie au système TUBE.
Tous les plans sont également créés au sein du système et, comme pour les assets, sont suivis étape par étape.
"C'est le son qui donne l'image dans l'optique de notre flux de production", rappelle Pierrot Jacquet. "On démarre donc l'enregistrement des voix définitives en amont et séparément. Ce processus est extrêmement bénéfique en termes d'acting, à deux niveaux : côté voix, cela laisse une totale liberté d'interprétation ; côté production, on profite de cette absence de contrainte pour 'coller' parfaitement au jeu des acteurs. Ainsi, l'animatique est calée à la frame près, ce qui fait que nous avons pu obtenir un montage respecté pour 50 des 52 épisodes de la série. C'est ce qu'on appelle de l'animation utile."
Autre économie : les storyboarders sont également les monteurs, "ce qui permet de cleaner uniquement ce qui est utile", précise Alexandre Bretheau. "Le posing est clairement défini à l'étape du storyboard et les animateurs n'ont plus qu'à animer." Des animatiques aussi cadrées sont enfin le moyen d'avoir la validation de la chaîne rapidement.
Le montage est réalisé avec Sony Vegas Pro 2.5 et Vegas Shot Breakdown qui permet de récupérer tous les éléments d'un montage, mis à jour au fur et à mesure de la production.
Les équipes de Cube ont créé un set up générique pour chacun des personnages de la série sous 3 types de visualisation : complet, puppet et visage uniquement. À cela s'ajoute un dernier set up, "où un maximum d'éléments sont désactivés pour aller plus loin dans l'animation". Une fois celle-ci terminée, il convient de cleaner la scène d'animation avant de l'envoyer au rendu. "Le clean se fait automatiquement, explique Alexandre Bretheau, ce qui permet d'accélérer la phase de validation." Dans ce cas, la scène part directement au rendu/compositing. Au final, un épisode incluant une centaine de plans pouvait être traité en une semaine.
"Ce que nous avons réussi à obtenir, c'est maximiser l'implication des graphistes", conclut Pierrot Jacquet. "Notre ambition est de produire des longs métrages et pour cela, nous devions monter en qualité d'image. Par conséquent, on a souhaité s'affranchir au maximum de la dimension technique."
Quel était le temps d'animation produite ?
Nous sommes arrivés à 7 secondes d'animation par jour et par animateur avec une équipe de 6 animateurs et un lead animator.
Pourquoi avoir développé un outil interne quand d'autres sont déjà commercialisés ?
Nous devions répondre à des besoins bien spécifiques que ne fournissaient pas les outils disponibles. En outre, le pipeline a évolué en cours de production ; nous avions donc une personne en charge du développement sur site qui pouvait répondre dans la journée à nos questions/suggestions. Enfin, nous avons étudié les coûts de ce type de solution ; avec une fourchette de 50 à 100 US$/utilisateur/jour, développer en interne s'avérait moins coûteux.
Créée non loin de Liège en 1994 par Marc et Serge Umé, respectivement ingénieur de l'aérospatiale et architecte, Digital Graphics a travaillé sur plus de 65 films en proposant des prestations d'effets spéciaux numériques pour le cinéma (depuis 1998), et de post-production d'animation 2D, 3D et stop motion. La société développe également des logiciels comme SoftAnim, une suite d'outils pour l'animation 2D et la colorisation, et plus largement des outils conçus pour des besoins spécifiques, le plus souvent sous Linux. Parmi les récentes collaborations de Digital Graphics, on peut citer Loulou, l'incroyable secret (Prima Linea Productions), The Song of the Sea (Cartoon Saloon), Le Jour des corneilles (Finalement) ou encore Ernest et Célestine (Les Armateurs).
"Nous avons passé presque un an à développer le logiciel qui a été utilisé pour le rendu aquarellé d'Ernest et Célestine, explique Serge Umé, en multipliant les types de simulations sous Shake. L'idée était de déterminer aussi précisément que possible ce qu'étaient un pigment, un effet de flou, comment créer des débordements de peinture, etc." Difficulté supplémentaire, le trait de contour des personnages n'est pas systématiquement fermé, respectant ainsi l'œuvre originale de l'auteure Gabrielle Vincent.
Les réalisateurs – Benjamin Renner, Vincent Patar et Stéphane Aubier – ont utilisé le logiciel Flash comme une table à dessin dans un studio spécialement mis sur pied au sein des Armateurs. De son côté, Digital Graphics a mis en place une nomenclature des différents éléments à intégrer dans la phase de rendu pour avoir ensuite des automatismes lors de la mise en couleur. C'est avec SoftAnim que la société a ensuite commencé son travail : "l'idée est que c'est le trait de contour qui aspire ou repousse les textures selon une distance prédéterminée, un peu comme un warping automatique", explique Serge Umé. "Ainsi, on peut dire qu'en quelque sorte, l'aquarelle accompagne les mouvements du trait." Possibilité était naturellement donnée d'ajouter des débordements et autres pigments selon les besoins. En tout, le logiciel permettait de gérer jusqu'à 50 paramètres différents par couleur.
En ce qui concerne les mouvements propres de l'aquarelle, le cofondateur de Digital Graphics explique : "tous les bords des ensembles colorés sont automatiques, mais l'intérieur est animé à la main avec quelques clés d'animation".
Le studio des Armateurs se partageait entre une équipe qui faisait l'animation du trait, une autre l'animation des couleurs. "On récupérait les fichiers Flash, on séparait ensuite chacune des couleurs, pour parvenir parfois à des scènes comportant jusqu'à 100 000 layers !"
Une fois intégrés dans le logiciel, qui assurait la gestion des fichiers automatiquement, "nous obtenions différentes couches : trait, couleur avec textures, couleurs non texturées, ombre, etc."
Serge Umé admet que cela s'est avéré être "l'une des productions les plus complexes à faire, mais aussi l'une des plus faciles tant l'enjeu nous motivait. Il fallait toutefois être très précis : modifier un seul des paramètres sur une unique couleur entraînait parfois 90' de temps de rendu supplémentaires." Pour optimiser cette phase, Digital Graphics s'est appuyée sur l'architecture CUDA de traitement parallèle développée par NVIDIA, permettant de décupler les performances de calcul du système en exploitant la puissance des processeurs graphiques (GPU). "Les calculs, certes simples, s'en trouvaient réellement boostés, puisque nous sommes passés de 90' à du quasi temps réel." Toujours dans un souci d'optimisation de leur gestion, les 50 paramètres par couleur ont été repensés pour parvenir au final à un ensemble de 5 à 6, "non pas en les simplifiant mais en les liant pour plus d'aisance". Au meilleur de la production, 15 plans/jour étaient rendus. Serge Umé évoque cependant une contrainte liée au système : "Nous ne pouvions pas scinder les séquences, ce qui veut dire qu'une fois le traitement commencé, il fallait attendre que ce soit terminé pour, le cas échéant, réaliser des modifications." Les effets d'eau étaient ensuite ajoutés semi aléatoirement tandis que la texture papier demeurait fixe tout au long du film.
Avez-vous été confrontés à de nombreuses retakes ?
Il y a eu 60 % de retakes sur cette production, ce qui peut paraître énorme ; mais nous avions des réalisateurs particulièrement réactifs, ce qui nous a aidés dans la phase de validation.
Est-ce que SoftAnim a été utilisé sur d'autres productions ?
SoftAnim est un logiciel bitmap, avec export PNG, utilisé avec succès sur Loulou, l'incroyable secret et The Song of the Sea.
Rédigé par Stéphane Malagnac, Prop'Ose, France
Les synthèses des conférences Annecy 2013 sont réalisées avec le soutien de :
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