La configuration idéale à atteindre dans le développement de personnages d'animation est pour Kristof Serrand :
- l'adaptation des personnages créés par le designer pour les rendre "animables" ;
- l'exploration de l'acting des personnages avec le réalisateur ;
- la mise au point de références solides pour les animateurs ;
- la génération de matériel pour les départements en amont et en aval de la chaîne ;
- le test des voix des acteurs ou du casting idéal.
Kristof Serrand est superviseur de l'animation chez DreamWorks depuis 18 ans. Il participe au développement et à l'animation de personnages depuis plus de 30 ans, avec des gens aussi différents qu'Albert Uderzo, Paul Grimault ou Steven Spielberg. Il a travaillé sur le film Les Croods, sorti en avril 2013.
Consultant indépendant, René Broca assure depuis 2005 la conception éditoriale du cycle de conférences professionnelles d'Annecy. Il est également coresponsable du contenu éditorial du Forum Blanc.
René Broca est consultant indépendant dans les secteurs de l'animation et de l'imagerie numérique. Son activité se partage entre la conception et l'organisation de conférences et d'événements professionnels et la rédaction d'études sectorielles. Il est également délégué général du réseau des écoles françaises de cinéma d'animation (Reca).
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"Pourquoi le design final des personnages d'animation s'éloigne-t-il parfois autant du concept art initial ?", s'interroge en guise de préambule Kristof Serrand, qui a contribué au développement et à l'animation de nombreux personnages d'animation en France et aux États-Unis. Retour sur plusieurs décennies d'expertise.
"Le premier objectif à prendre en considération est l'adaptation des personnages créés par le design pour les rendre 'animables'. Ensuite, tout est question d'échange avec le réalisateur pour explorer l'acting des personnages d'un commun point de vue. Ensuite, il faut mettre au point des références solides qui vont étayer le concept art pour les animateurs. Et il convient de générer beaucoup de matériel pour les départements qui vont travailler sur vos designs, en amont et en aval de la production, comme le storyboard, le rigging, les modèles couleurs, le surfacing ou encore les CFX. Faire les voix ou tester celles dont on dispose est également crucial. Mais vous pouvez, à l'inverse, partir du script et penser à un/une acteur/actrice pour superposer son acting à celui de votre personnage. Ainsi, sur le long métrage Le Prince d'Égypte, j'avais pensé pour incarner Pharaon à plusieurs acteurs : Paul Newman, Charlton Heston ou encore Patrick McGoohan. J'ai donc instinctivement intégré des éléments de voix de ces acteurs puis réalisé quelques boucles d'animation. Il s'agissait à la fois de tester le design de mon personnage, voir s'il correspondait, une fois animé, à 'l'image' que je m'en faisais. C'était également un bon moyen pour tenter de convaincre ces acteurs de participer réellement au film."
La petite histoire retiendra que le rôle échut finalement à… Patrick Stewart, acteur britannique qu'on a pu voir dans les sagas Star Trek ou X-Men.
Selon une citation ironique rapportée par Kristof Serrand, "il n'y a que deux façons de faire de l'animation : la bonne… et la mienne".
Il n'existe donc pas réellement de bonnes pratiques en la matière mais plutôt du cas par cas qui, de temps en temps, tend à se pérenniser. "Le cas de figure idéal est de pouvoir commencer l'animation avec un design définitif, faire un casting par personnage, disposer d'une équipe réduite et d'une longue durée de production sans oublier un budget qui vous permette d'avoir les meilleurs artistes dans leur domaine, explique le responsable Animation de DreamWorks, qui finit par ajouter mais cela n'arrive jamais".
La configuration prônée par Kristof Serrand, et plus réaliste, est un superviseur par personnage avec sa propre équipe afin de conserver la cohérence du concept art jusqu'au bout. "On donne un script à des graphistes et le superviseur leur fournit la vision, ce que l'on souhaite, la direction que recherche le réalisateur. Et puis on doit forcément finir par 'bloquer' un design. Commence alors le long travail de déclinaison. Vient ensuite l'étape d'animation de ce design sous forme d'attitudes, généralement avec un seul animateur à ce stade."
Modélisation et rigging complètent l'ensemble : des dizaines de tests sont réalisés sur la gestuelle, l'acting du personnage avec, notamment, beaucoup de cycles de marche. Prenant appui sur le personnage de Grug, dans le film The Croods, Kristof Serrand reprend et précise les étapes pour parvenir à des cycles à la fois comme bipède et quadrupède.
En parallèle, une bibliothèque d'expressions, d'attitudes et de regards se met en place pour nourrir le design. "Lors de cette phase, le design ne change pas, sauf des contrôles au rigging si besoin."
Ayant travaillé à la fois en animation traditionnelle et en numérique, Kristof Serrand a présenté quelques travaux d'anciennes productions. Ainsi, le personnage de l'oie Boris dans le long métrage Balto (1993) est issu d'un design de Nico Marlet (character designer chez DreamWorks depuis 1998). "Dans ce cas de figure, j'ai repris le concept validé par le réalisateur pour explorer la gestuelle du personnage qui a une aile cassée l'empêchant de voler. J'ai ajouté plein de poses pour m'imprégner du personnage. Dans le cas d'un animal, même en 2D, il faut souvent partir de l'anatomie du squelette, des ailes dans le cas présent. Le personnage doit pouvoir utiliser ses ailes comme des mains avec des doigts mais, aussi, repasser rapidement à des ailes lorsque l'usage des 'mains' n'est plus nécessaire."
Déjà, Kristof Serrand a multiplié les cycles de marche, mettant à jour au fur et à mesure le model sheet… sans pour autant le dénaturer. "C'est un piège de la 2D : il est facile de se détourner du design initial validé pour cause d'ajustements mais, peu à peu, le personnage perd son identité première et cela a des conséquences sur le travail des animateurs qui ne savent plus à quelle référence se fier."
Parfois, le personnage évolue durant le processus d'animation (comme Tullio dans Eldorado ou Sinbad qui voit son cou forcir, des chaussures et un pantalon long s'ajouter) ; il peut aussi disparaître totalement (le cheval préhistorique dans The Croods, alors que c'est son rigging qui a permis d'élaborer celui de tous les autres animaux du film). "C'est le problème de Hollywood : les films évoluent en cours de fabrication, ce qui impacte non seulement l'écriture mais aussi le storyboard, le rôle des personnages… et donc le character design."
En passant de l'animation traditionnelle 2D à l'animation 3D, pensez-vous avoir gagné en liberté ?
Avant, on faisait la queue devant mon bureau pour me demander de changer tel ou tel détail d'un personnage. Avec l'arrivée du numérique, je pensais en avoir terminé. Mais on a repris le même travers à cause des capacités énormes de déformation qu'offrent les logiciels. Il faut à tout prix conserver la consistance, la cohérence du personnage.
À titre personnel, est-ce que ce passage n'a pas été trop complexe ?
La 3D, c'est plus facile quand on aime l'acting plus que le dessin. Ce qui est mon cas. Donc, le passage a été très facile.
Rédigé par Stéphane Malagnac, Prop'Ose, France
Les synthèses des conférences Annecy 2013 sont réalisées avec le soutien de :
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