Le long métrage "Pourquoi j’ai (pas) mangé mon père", produit par Pathé, Boréales et Marc Miance (Let’So Ya !) à la production exécutive, est un film en capture de mouvement mis en scène et interprété par Jamel Debbouze. Filmé sur un plateau de 150 m² avec 60 caméras, il utilise également des casques spéciaux pour la mocap faciale. Pour décorréler le financement et la localisation, la production a commercialisé les visages de plusieurs personnages en Italie et en Chine afin d’une part d’obtenir des investissements, d’autre part de générer un intérêt supplémentaire en salle lors de la sortie dans ces pays. Toute la postproduction (lighting, rendu, compositing) a été faite au studio Prana, en Inde.
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À l’origine, Pourquoi j’ai mangé mon père (The Evolution Man) est un roman de Roy Lewis paru en 1960 qui retrace la vie d’une famille préhistorique en pleine (r)évolution.
La société de production Boréales, fondée par Frédéric Fougea, en a acquis les droits d’adaptation il y a 18 ans environ avec l’idée d’en faire un long métrage en prises de vues réelles avant d’opter pour l’animation. Intitulé Pourquoi j’ai (pas) mangé mon père, "ce film a eu trois vies avant de réellement naître", pose en préambule Marc Miance, de Let’So Ya ! "Après l’option live action, un premier développement en images de synthèse a été fait au sein du studio MacGuff Ligne en animation keyframe et avec deux équipes de réalisateurs, Pierre Coffin d’une part, Thomas Szabo et Tanguy de Kermel d’autre part." Conçu dans une optique cartoon, le film, coproduit avec Pathé, devait s’avérer coûteux : "beaucoup de poils, de feuilles et de personnages".
Faute de pouvoir boucler le financement, la première tentative d’adaptation en animation n’a jamais vu le jour. Marc Miance, fondateur de Let’So Ya !, s’est attaché au projet en 2009. "Pour mieux assurer le financement, la production a fait appel au comédien et humoriste français Jamel Debbouze." Celui-ci s’est impliqué toujours davantage : de la voix du personnage principal à la réécriture des dialogues, puis du script et à la réalisation.
Le choix de la capture de mouvement s’est imposé : le film comporte ainsi 85 min de mocap et 10 min de keyframe, notamment pour l’animation des doigts des personnages.
"Il faut avant tout un propos", précise Marc Miance. "Cela passait par la création d’un ancêtre préhistorique de Jamel ; il fallait aussi garder une grande liberté pour une comédie de cette envergure et cela impliquait le numérique, tout en évitant le 'piège du photoréalisme'. Enfin, il fallait permettre à l’acteur d’être également derrière la caméra."
Le second point permettant la "réussite" d’un tel film est de créer des personnages qui ne soient pas des doublures numériques. Un patient travail d’interaction entre le character design et le casting d’acteurs a donc été élaboré pour parvenir à des personnages numériques dont le design s’inspire des vrais acteurs.
Enfin, l’objectif était de proposer un découpage et une photo qui soient les plus cinématographiques possibles en s’inspirant de la prise de vues réelles, en choisissant d’engager une équipe de cadreurs et de monteurs issus du live action. "Pour cela, nous avons fait appel à la société Androids, créée par des anciens d’Attitude Studio", le précédent studio de Marc Miance. Le dernier point était de choisir de façon très pertinente les shaders de peau et de poils, deux éléments cruciaux sur une production "préhistorique".
Pour les 2 275 plans du film, "la durée moyenne se situe entre 2 s et 2,5 s le plan, soit des timings similaires à ceux de la prise de vues réelles et, par conséquent, plus courts que ceux constatés en animation".
6 mois de préparation physique ont été nécessaires pour les acteurs du film qui jouent la moitié du temps à quatre pattes. À cela s’ajoutent 3 semaines de répétition et 45 jours de plateau.
Ce dernier, d’une taille de 150 m², pouvait accueillir de 12 à 15 comédiens qui tournaient en simultané. La capture de mouvement faciale a été réalisée grâce à un ensemble headcam conçu par Laurent Martin et Jean-Paul Dasilva. Léger, précis, robuste, le casque totalement novateur pèse 350 g, avec un système de fixations sans point de pression "pour éviter les maux de tête et s’adapter aux différentes formes de crânes". Une caméra Horus enregistre l’acting du visage et l’enregistrement des voix se fait en mode sans fil (wireless) grâce à un boîtier HF fixé à la ceinture de chaque acteur.
Le tournage a été réalisé à Stains dans la banlieue parisienne avec 60 caméras, en plus des headcams, qui enregistraient avec une résolution cumulée de 240 K pour 100 i/s. "Avec 80 personnes parfois sur le plateau, il a fallu une énorme mise en place mais ensuite, ça a été un formidable outil de travail", confie Marc Miance. Malgré le tournage en mocap, la production a souhaité ajouter des éléments physiques pour faciliter l’intégration dans l’histoire : un cyclo de 35 mètres de long et 8 de haut sur lequel un immense décor de jungle a été imprimé pour donner l’ambiance, des éléments de décor en câble d’acier figurant les branches "pour qu’il y ait une réelle alchimie entre l’acting et les décors."
Le traitement des données a été réalisé par Kubik Motion à Manchester pour 150 000 € sur la première passe, "ce qui n’est pas excessif pour un film de cette ampleur", précise Marc Miance qui complète : "L’avantage de notre outil de mocap faciale est que la direction du regard est quasi finale, ce que ne procurent pas les autres outils. C’est ici un point clé d’optimisation de production".
Afin que le producteur Pathé et le réalisateur puissent mieux appréhender l’avancée du tournage, une étape de "visualisation" a été mise en place : "On a intégré tous les éléments pris sur le plateau – décors, cyclo, FX basse définition – dans MotionBuilder et on a projeté les vidéos capturées via les headcams sur le visage des personnages 3D. C’est à cette étape que Jamel Debbouze a fait son choix de caméras, a testé différentes mises en scène dans une approche similaire à du film live". Marc Miance avance la notion de master shots ou plans maîtres qui servent de références dans une séquence : "Le rendu, le compositing ont été effectués et validés sur les master shots, ce qui nous a permis ensuite de travailler sur les mêmes paramètres pour l’intégralité de chaque séquence" dans un souci de gain de temps.
"On a fait le choix de déséquilibrer le budget au profit de la qualité", souligne le producteur de Let’So Ya ! Pour éviter le piège de la localisation forcée pour des raisons financières qui s’avère parfois hasardeuse, "nous avons proposé une vente sèche en Italie en intégrant dans le casting des personnages le design de quatre comédiens très connus et parfaitement identifiables auprès du public". Même chose avec une star en Chine : "cela nous a permis de conserver la localisation de la majeure partie de la production en France", soit 80 % du budget. À noter que la production a acquis les droits d’utilisation de l’image du comédien français Louis de Funès, décédé en 1983, qui complète le casting. La production n'en a pas moins délégué une partie de la fabrication en Inde, au studio Prana (qui a racheté en mars 2013 Rythm And Hues), pour tout le surfacing des assets, le lighting, le rendu et le compositing. Marc Miance s’y est installé un an afin de superviser ces étapes. "Dans la plupart des productions, on partage à parts égales le front-end et le back-end. Dans notre cas, nous avons privilégié la partie mise en scène (front-end) et délégué la postproduction, ce qui a permis d’avoir plus d’argent sur le premier volet." Quinze minutes supplémentaires ont été commandées en juin 2014, qui devraient s’ajouter au film dont la sortie est prévue en avril 2015.
Rédigé par Stéphane Malagnac, Prop'Ose, France
Traduit par Sheila Adrian
Les synthèses des conférences Annecy 2014 sont réalisées avec le soutien de :
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