Présent depuis 17 ans chez ILM, Hal Hickel a détaillé l'organisation nécessaire pour un bon flux de production, avec un trio comprenant le producteur, le superviseur VFX et le superviseur d'animation. Si le studio poursuit son travail d'innovation, notamment sur la capture de mouvements avec rendu temps réel, il n'en demeure pas moins que le développement à marche forcée n'est plus un but en soi et que les outils du marché sont parfois suffisants.
Hal Hickel est directeur de l'animation à Industrial Light & Magic. Depuis qu'il a rejoint ILM en 1996, il a supervisé l'animation de films tels que AI Intelligence artificielle, la trilogie Pirates des Caraïbes, Iron Man, Super 8 et Rango. Plus récemment, il a supervisé l'animation sur Pacific Rim de Guillermo del Toro.
Directeur pédagogique de l'école ISART Digital (Paris/Montréal), Simon Vanesse a travaillé auparavant en tant que préproducteur et producteur VFX chez BUF Compagnie. Il a collaboré aux effets visuels des films : The Grandmaster (Wong Kar-wai), Thor (Kenneth Branagh), Speed Racer (frères Wachowski), Dante 01 (Marc Caro)...
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Hal Hickel est Senior Animation Director, en poste chez ILM depuis maintenant 17 ans. "Depuis l'enfance, j'ai été impressionné par les effets que l'on appelait encore spéciaux, créés par des personnalités comme Ray Harryhausen, ou des films comme le King Kong de David O. Selznick. On n'était plus dans le stop motion et la grosse claque est venue de Star Wars. Il fallait absolument que je sache comment des gens pouvaient faire cela, ce qu'on n'appelait pas encore du motion control. J'avais 13 ans lorsque j'ai découvert dans les magazines spécialisés le studio ILM. Pour moi, ma carrière était arrêtée ; j'ai donc intégré CalArts (California Institute of Arts), créée par Walt Disney et installée à Los Angeles." Son premier emploi chez Will Vinton au sein du studio d'animation homonyme lui permettra de gagner de l'expérience dans le domaine pendant 6 ans avant d'aller proposer ses services chez Pixar. "J'ai eu l'occasion de travailler sur Toy Story 1 pendant 18 mois, puis j'ai tout simplement traversé la rue pour me retrouver… chez ILM. La boucle était bouclée."
ILM (pour Industrial Light & Magic) a été créée en 1975. Jusqu'alors, toutes les grandes majors américaines disposaient de leur propre département d'effets spéciaux mais les années 1970 ont vu l'émergence de structures indépendantes, poussées par une externalisation de ce type de prestation. "Lorsque George Lucas a décidé de créer cette entité à part de Lucasfilm, il a loué tout le matériel qu'il pouvait ; le reste a été créé à partir des connaissances des personnes présentes au tout début." Les équipes investissent alors les locaux de la société Kerner, spécialiste des effets optiques, sans apposer leur logo : "Il y avait une telle 'Starwarsmania' qu'ILM voulait éviter les assauts quotidiens de fans", rappelle Hal Hickel.
ILM aura 40 ans en 2015 et certains des membres d'origine y contribuent encore. "Je ne saurais expliquer pourquoi ici et pas ailleurs, mais il y a une vraie culture de continuité, de longévité. Ce peut être une raison de sa permanence alors que d'autres studios ont fermé."
Aujourd'hui installée dans les anciens locaux de l'hôpital de Presidio, non loin du Golden Gate Bridge de San Francisco, ILM abrite notamment une salle d'une capacité de 3 000 personnes, un plateau de capture de mouvements en sous-sol et une ferme de rendu impressionnante.
ILM est établie actuellement sur trois sites aux États-Unis : le Skywalker Ranch à Nicasio, dans le comté de Marin en Californie, le campus spécialisé dans l'animation et les locaux de Presidio où l'on retrouve à la fois ILM et Lucasfilm. Deux autres sites ont ouvert leurs portes à l'étranger : Singapour et Vancouver. "Les équipes de Singapour ont atteint un niveau excellent et contribuent à la réalisation de séquences entières. Sur le site canadien, nous sommes plutôt dans un entre-deux qui n'a pas vocation à devenir permanent ; il s'agit d'une installation liée à un projet. Du moins pour l'instant."
Culture de la continuité mais également culture sociale : "À ILM, et ce n'est pas du marketing, on pense que ce sont les personnes qui font les sociétés. C'est pourquoi les profils sont extrêmement différents. Cette notion de groupe d'appartenance est encore plus forte depuis que nos effectifs sont passés de près de 1 000 personnes à 500, en fonction des productions."
"On dissocie souvent la réflexion et l'émotion dans notre travail, à l'instar des hémisphères gauche et droit du cerveau, comme si un mélange des deux n'était pas envisageable. C'est pourtant cette alliance des deux que nous recherchons sans cesse."
Le premier film d'animation d'ILM et de Hal Hickel fut Rango de Gore Verbinski. "Ce fut un challenge à plus d'un titre et il a fallu prendre en compte plusieurs points parce qu'il s'agissait justement d'animation : constituer un budget réaliste, comprendre le calendrier, choisir un bon sujet, original qui sortait du lot."
ILM sait également bien établir des passerelles entre blockbusters nourris aux VFX et animation : "Il nous arrive de faire des tests en animation sur des films incluant beaucoup de VFX comme pour Iron Man 1 ; cela nous sert en quelque sorte de carte de visite pour montrer nos capacités."
Hal Hickel résume la quadrature du cercle de tout film, d'animation ou non : "si vous n'avez pas assez de budget, c'est la partie créative qui en souffre. À l'inverse, si vous mettez tout l'argent sur le créatif, votre budget va s'envoler !" L'une des clés de la réussite d'ILM tient peut-être aussi donc dans le savoir-faire en termes d'équilibre créativité/budget/planning.
Le directeur de l'animation avance la notion d'"anxiety gap", soit sur une échelle entre le calendrier de tournage et celui réel, la différence entre ce que les producteurs espèrent et la réalité : "On fait de notre mieux pour adhérer aux exigences du client mais il doit aussi intégrer nos demandes et nos contraintes, sinon ce décalage va se creuser au fur et à mesure de la production, avec des conséquences parfois coûteuses."
À ILM, une bonne équipe est constituée d'un trio de tête : le producteur, le superviseur VFX et le superviseur Animation. "Le second doit être plus important que le dernier car sa supervision englobe également l'animation. Ensuite, les deux superviseurs chapeautent des chefs d'équipes qui gèrent celles-ci. Côté producteur, la nécessité d'un producer manager est évidente avec, sous ses ordres, plusieurs coordinateurs chacun avec une tâche bien définie : rigging, simulation, compositing, lighting, etc. Puis viennent les assistants et, enfin, toute la partie créative : les artistes."
Quel est le processus mis en place chez ILM ? "Comme toujours sur la partie préproduction, on part tout de suite sur la phase de développement (concept art) ; nous n'avons pas de département de prévisualisation dans la mesure où beaucoup de projets qui arrivent chez nous en ont déjà fait l'objet via des sociétés comme The Third Floor et Halon. Mais cela peut nous arriver de proposer ce type de prestation, comme ce fut le cas sur Pirates des Caraïbes. Il y a une tendance chez ces sociétés à pousser un peu trop loin dans le délire sans se soucier réellement de ce qui est faisable ou pas. Alors, il est parfois difficile de faire entendre raison à un producteur qui pense qu'au vu de ce qu'on lui a fourni, on peut tout créer, tout imaginer dans des délais de plus en plus courts…"
Hal Hickel pointe un travers fréquent : "On a tendance au stade du développement visuel à multiplier à l'infini les 'tournettes' pour soi-disant améliorer les choses. Le risque est de perdre trop de temps, de se diluer. L'idée : allons-y et voyons déjà ce que cela donne ! Le cas échéant, on reviendra travailler dessus." "La phase de modélisation peut s'avérer assez lente mais c'est une étape à ne pas rater."
La politique d'ILM en matière de génération de personnages numériques est, dans tous les cas, de déterminer si "un cascadeur peut le faire ; il faut toujours privilégier l'approche physique plutôt que numérique. Cela s'avère parfois plus complexe et donc coûteux que de faire appel à un acteur", précise Hal Hickel.
Sur l'aspect set up des créatures, "j'estime qu'il devrait toujours y avoir un rig simple d'emploi, même pour des créatures complexes, afin qu'on puisse l'utiliser facilement et en toute liberté créatrice".
Sur le second volet de la production, à savoir la prise de vues, Hal Hickel précise les étapes nécessaires pour un studio comme ILM : la prise de vues principale, "qui nécessite de prévoir autant le tournage réel que le numérique", la prise de vues elle-même, c'est-à-dire une présence sur le plateau "pour voir comment agissent, pensent le réalisateur mais également les acteurs, le chef-opérateur…" Il convient en outre d'intégrer le layout et le tracking de caméras, la prise de vues sur fond bleu et la prise de vues des différents éléments d'une scène.
Enfin, pour la partie animation, Hal Hickel distingue entre la simulation, le lighting et le rendu, en précisant que "le lighting peut démarrer en amont dans le processus, en parallèle d'autres tâches ; viennent ensuite la rotoscopie, le compositing et, le cas échéant, le digimatte".
Même pour ILM, force est de constater que le paysage de l'industrie des VFX évolue : budgets restreints, calendriers de production réduits, arrivée de la 3D stéréoscopique, production virtuelle, format 4K ou encore UltraHD. Dans le même temps, le secteur doit faire face à d'autres approches qui amènent à repenser le modèle : diffusion numérique, recherche de financements attractifs comme les tax rebates, l'arrivée de nombreux acteurs à l'organisation plus flexible, le tout dans un paysage qui s'internationalise de plus en plus.
L'acquisition par Disney de Lucasfilm n'augure en rien du futur d'ILM, ce qui ajoute une nouvelle inconnue.
La réussite ne passe-t-elle pas par l'innovation ?
Naturellement, c'est pourquoi nous avons développé de nouveaux outils comme de la capture de mouvements avec rendu temps réel, une app iPad permettant de gérer l'angle d'éclairage du soleil (ou de toute autre source lumineuse) avec un résultat immédiat ou encore un capteur de mouvements faciaux adaptable pour n'importe quel type de visage (numérique). Depuis toujours, nous avons développé des outils de plus en plus efficaces pour améliorer notre productivité et nous continuerons à le faire.
Utilisez-vous les logiciels du marché ?
Avant, le mot d'ordre chez ILM était de développer un outil pour un usage. Aujourd'hui, même si nous continuons à innover, on a plutôt tendance à s'appuyer sur l'existant. C'est un peu comme la capture de mouvements ; auparavant, on la disait moins chère, plus rapide. Finalement, du moins chez ILM, ce n'est plus la panacée. Si elle peut nous être utile, prenons-la ; sinon, il existe d'autres procédés tout aussi efficaces.
Rédigé par Stéphane Malagnac, Prop'Ose, France
Les synthèses des conférences Annecy 2013 sont réalisées avec le soutien de :
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