Avec des budgets compris entre 5,5 et 10 M€, le financement des quatre longs métrages européens présentés passe par une nécessaire coproduction avec trois à quatre autres pays. Seul TeamTO, avec Yellowbird, a choisi de réaliser toute l’image en France, le son étant délocalisé en Belgique. Conscient que la France est un pays où "il est plus aisé d’obtenir un bon niveau de financement", Guillaume Hellouin ne ferme pas la porte à des interventions internationales, mais sur la partie distribution. Je suis bien content (Un monde truqué), Knudsen & Streuber et Walking The Dog (Richard the Stork) et Cartoon Saloon (Le Chant de la mer) ont tous choisi de délocaliser la fabrication du film en fonction des investissements financiers.
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Richard the Stork (Richard la cigogne) est un long métrage d’animation 3D stéréoscopique, produit par Knudsen & Streuber Medienmanufaktur, Ulysses Filmproduktion (Allemagne), en coproduction avec Walking The Dog (Belgique), Mélusine Productions (Luxembourg) et Den Siste Skilling (Norvège). Richard est un moineau orphelin recueilli par une famille de cigognes. Lorsque celles-ci décident d’entamer leur voyage migratoire, elles sont contraintes de lui révéler la vérité. Mais Richard est bien déterminé à demeurer cigogne et à rejoindre sa famille d’adoption en Afrique.
Doté d’un budget de près de 10 M€, Richard the Stork est le premier long métrage d’animation de Knudsen & Streuber, qui produisait jusqu’à présent des films en prises de vues réelles. "Nous avons choisi de produire ce film car nous souhaitions diversifier notre catalogue, mais sans pour autant partir à l’aventure", résume Kristine Knudsen. Le choix de la coproduction s’est donc basé tout autant sur des considérations artistiques et techniques que sur des considérations économiques. Le long métrage est cofinancé à hauteur de 35 % par l’Allemagne (German Federal Film Board, Medienboard Berlin- Brandenburg, Filmförderung Hamburg- Schleswig Holstein, Commissioner for Culture and the Media, German Federal Filmfund), 33 % par la Belgique (Screen Flanders, Fortis Film BNP), 20 % par le Luxembourg (Film Fund Luxembourg ) et 13 % par la Norvège (Norwegian Film Institute, FUZZ) et Eurimages en complément des distributeurs, des partenaires TV et Global Screen. "Le montage financier s’est fait en quatorze mois, précise Eric Goossens, avec cinq fonds régionaux et nationaux allemands, Fuzz, qui est un fonds d’investissement norvégien, et le soutien d’Eurimages."
À ce partage des investissements répond un partage de production entre cinq studios localisés en Allemagne, Belgique, Luxembourg et Norvège.
Studio Rakete, basé à Hambourg, a déjà collaboré sur les deux longs métrages Niko, le petit renne et Thor et les légendes du Valhalla, mis en scène par Toby Genkel, coréalisateur de Richard the Stork. Sur ce dernier, Rakete a créé la majeure partie du character design, le storyboard, le layout stéréoscopique et participé à l’animation.
Ulysses Filmproduktion, coproducteur de Richard the Stork, avait déjà produit les longs métrages d'animation Niko & The Way to the Stars, Niko 2 – Little Brother, big Trouble, Legends of Valhalla – Thor et plus récemment Ooops! Noah is gone….
Studio 352, filiale du producteur luxembourgeois Mélusine, se charge de la direction artistique, du design des décors et de certains personnages, de la modélisation, du rigging, du layout et de l’animation. En Belgique, Walking The Dog met en place le pipeline DVT (Digital Video Live Transcoder). Le studio fondé par Eric Goossens également partage le lighting/shading, le compositing et le rendu avec Rise, l’un des plus importants studios VFX en Allemagne, qui dispose de centres de production à Berlin, Cologne, Vienne et Halle. Enfin, les Norvégiens de Bug assurent l’animation, la postproduction et la postsynchronisation.
Richard the Stork a été envisagé comme un projet cross-média incluant une partie numérique (réseaux sociaux, site, jeux) et une autre plus traditionnelle (livres, bande originale, merchandising). Il s’associe enfin à une démarche pédagogique autour de la préservation de la nature.
Un monde truqué est un long métrage 2D/3D, initié par l’auteur de bandes dessinées français Jacques Tardi. Grand Prix de la Ville d’Angoulême en 1985 et lauréat de deux Eisner Awards en 2011, Jacques Tardi est le créateur de l’héroïne Adèle Blanc-Sec ainsi que de nombreux ouvrages sur la Première Guerre mondiale. Dans Un monde truqué, il entraîne une jeune fille à la recherche de ses parents, scientifiques disparus au cœur d’un Paris steampunk et uchronique, régi par la vapeur et Napoléon VI. Il est produit par Je suis bien content (JSBC) et STUDIOCANAL en France, Kaïbou Production au Canada et Need Productions en Belgique. Il est actuellement en phase d’animation.
Je suis bien content avait déjà collaboré avec un dessinateur de BD, pour l’adaptation par Marjane Satrapi de son roman graphique Persepolis. "Pour le projet de Tardi, explique Marc Jousset, cofondateur de JSBC avec Franck Ekinci, également réalisateur du film, nous avons dans un premier temps réalisé un pilote en animation traditionnelle, mais nous nous sommes vite rendu compte que d’un point de vue logistique, ce serait trop lourd de produire un long métrage comme celui-ci avec cette approche." Le choix du numérique est apparu évident, même si "le trait de Tardi est très spontané et qu’il fallait être en mesure de le restituer en animation". Très présent au début du projet pour la création des personnages et des environnements, Jacques Tardi a progressivement pris du recul, et des réunions désormais mensuelles entre JSBC et l’auteur suffisent à valider ou amender les différentes étapes de fabrication.
Avec un budget estimé à 9 M€, Je suis bien content a dû envisager la coproduction, car, "au-delà de 5 M€, il est impossible de financer un film d’animation seul, estime Marc Jousset, qui souligne que la chaîne franco-allemande Arte est intervenue en coproduction, une première pour le cinéma d’animation".
La production a également été répartie entre des studios de différentes nationalités. "Nous avons supervisé l’intégralité des étapes de fabrication : le layout, le posing sont faits sur Paris, ainsi que la modélisation des éléments 3D incluant les véhicules vapeur. Enfin, 50 % de l’animation 2D sont gérés par JSBC." L’animation 3D a été confiée à TTK, au Canada. En Belgique, Waooh !, autre studio du réseau de la ToonAlliance (comme TTK), s’est chargé de la création des décors, en collaboration avec les Lillois de Tchack. Enfin, le compositing a été confié au studio belge Digital Graphics.
Le casting des voix a également fait l’objet d’une répartition géographique, corrélée au partage des étapes de fabrication et au montage financier. Marion Cotillard interprète donc Avril, le personnage principal, accompagnée de Jean Rochefort. Des acteurs belges (Bouli Lanners, Olivier Gourmet, Anne Coesens) et canadien (Marc-André Grondin) complètent la distribution.
La sortie d’Un monde truqué est prévue pour le second semestre 2015 en France.
TeamTO est un studio français spécialisé dans la série télévisée, créé en 2005 et présidé par Guillaume Hellouin. Yellowbird est le premier long métrage en 3D stéréoscopique de ce producteur indépendant, associé à Haut et Court pour l’occasion.
L’intégralité de l’image est fabriquée en France, entre Bourg-lès-Valence et Paris. La postproduction du son et l’enregistrement de la musique se feront en Belgique. "Choisir de localiser toute la production d’un long métrage en France était une première pour nous, ce qui a nécessité de modifier pas mal de choses dans notre pipeline", explique Guillaume Hellouin.
L’objectif était d’avoir un flux de production qui permette de valider étape par étape, comme ce qui était déjà en place pour la série : "On réduit toutes les tâches annexes grâce à des scripts d’automatisation, pour économiser du temps en s’appuyant sur du temps machine." Deux constats se sont vite imposés. En premier lieu, il fallait "un niveau de flexibilité bien supérieur à ce qu’on avait déjà. En second lieu, cette flexibilité devait être en mesure de pouvoir nous faire revenir en amont de la production si besoin, ce que l’on ne fait que très rarement en production TV."
Outre la flexibilité, le pipeline se devait d’être largement plus solide que pour une série : la production prévoyait 500 To de données d’ici à la fin de la production ! Trois développements majeurs ont été initiés pour répondre à ces enjeux :
Cartoon Saloon est un studio irlandais basé à Kilkenny, qui produit des séries TV, des clips publicitaires et des longs métrages. Parmi ceux-ci, on peut citer Brendan et le secret de Kells, L’Apprenti Père Noël ou Jean de la Lune. Le Chant de la mer est son prochain film d’animation 2D, réalisé par Tomm Moore. Le film est coproduit par Mélusine Productions (Luxembourg), The Big Farm Productions (Belgique), Superprod Animation (France) et Nørlum (Danemark), pour un budget de 5,5 M€. De nombreux fonds publics territoriaux et tax shelters ont permis d’abonder le plan de financement selon les pays : Irlande (38 %), Luxembourg (22 %), Belgique (20 %), Danemark (10 %), France (moins de 10 %), sans oublier Eurimages.
Comme pour toute coproduction, la fabrication a été répartie entre les différents studios. Outre le réalisateur, Tomm Moore, Cartoon Saloon a pris en charge le script, la direction artistique, l’animatique – réalisée six mois après la version finale du script –, les décors, le character design et l’animation. Partie intégrante de la société de production Mélusine, Studio 352 s’est occupé du layout des décors ainsi que d’une partie de l’animation. Jeune pousse de l’incubateur initié par The Animation Workshop (Viborg, au Danemark), Nørlum a produit 35 minutes d’animation. La production a confié au studio belge Digital Graphics le compositing et les effets spéciaux du film. Enfin, les Français de Superprod ont été engagés pour tout l’aspect postproduction image et son.
Pour permettre une organisation de production plus fluide entre les différents prestataires, Cartoon Saloon s’est appuyé sur la plateforme de gestion de projets HoBSoft. Avec deux serveurs dédiés installés dans leurs locaux, les datas étaient transférées via une connexion sécurisée aux serveurs HoBSoft des différents intervenants. Chaque équipe pouvait donc avancer sur leurs données, qui étaient automatiquement rebasculées sur le serveur central. HoBSoft propose également un outil de suivi de projet permettant au réalisateur de connaître à n’importe quel moment l’état de la production, de valider ou de faire corriger les plans. Un historique des modifications a permis d’éviter les éventuelles erreurs liées à la multiplication des versions.
Est-on obligé de répartir la production entre différents pays pour boucler son financement, au risque d’obtenir une œuvre hétérogène ?
Eric Goossens (Walking The Dog) : "La tendance est de devoir multiplier les producteurs avec d’autres pays car, aujourd’hui, personne ne veut se lancer dans un projet s’il y a un risque financier. Mais, et c’est notre cas, les studios se connaissent de mieux en mieux et la collaboration est de plus en plus efficace. Alors, certes, l’aspect financier va demeurer majeur, mais je pense que nous sommes vraiment dans une dynamique de vraie coproduction et plus seulement dans une simple équation financière."
Guillaume Hellouin (TeamTO) : "Pour Yellowbird, nous voulions réellement faire le film tout seuls. Nous avons la chance, en France, de pouvoir lever un niveau assez important de financement, mais cela a nécessité un gros investissement au départ pour TeamTO. Maintenant, aucun film ne se ressemble et ce n’est pas forcément la démarche que nous privilégierons par la suite. Si notre budget est de 8,5 M€, c’est que nous n’avons pu obtenir plus. Alors, la question d’une distribution internationale se posera peut-être pour une prochaine production, mais nous ne travaillerons pas avec un autre studio."
Rédigé par Stéphane Malagnac, Prop'Ose, France
Traduit par Sheila Adrian
Les synthèses des conférences Annecy 2014 sont réalisées avec le soutien de :
Conférences organisées par CITIA
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